Accueil Chronique album : Raphaële Lannadère - L., par Lartsenic
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Critique d'album

Raphaële Lannadère : "L."

Raphaële Lannadère :

Pop - Rock

Critique écrite le 11 décembre 2015 par Lartsenic

Raphaële Lannadère (ex L) revient avec un fort bel album après quatre ans de silence, ellipse temporelle qui lui aura permis de poser sa voix autrement, limpide et profonde, et d'aiguiser sa plume: le lexique est plus riche, la poésie gagne en symbolique. Elle jongle à présent avec des concepts abstraits. Quant à son choix de se tourner vers des sons électroniques, il me semble parfaitement avisé, car il intensifie le propos. Une belle recherche de textures sonores cultive les granularités, les bruits de fond. Comme le titre l'évoque, il est question des ailes du désir, de l'amour infini qui visite une femme à la fois ingénue (just like a kid), sensuelle et passionnelle (noir ou satin).
L'album ouvre sur un texte aux accents rimbaldiens (je pense à Sensations de 1870, à ceci près que l'été n'y est pas bleu et frais, mais jaune et sec comme un paysage du midi). J'accélère sent l'herbe chaude et le vagabondage, préambule au voyage intérieur/extérieur dont il sera question dans cet album. On sillonne la France, on se rue vers la mer, on prend des bateaux, on traverse les frontières. Les synthés tournent en boucles, par leur rythme ils évoquent les kilomètres parcourus, mais aussi l'univers synthétique, plastique de l'alcôve de la berline, contraste saisissant entre nature et  technologie, entre l'être profond et ce dont il s'entoure. "Loin de toi j'ai peur de rien" chante-t-elle, cela donne à songer à un "auprès de toi je ressens trop/tout": "Je" prend la fuite. "Tu" est source d'anxiété, il pose la question de l'Autre, la crainte de l'anéantissement du moi. De fait, "Je suis son écho vénitien", me fait penser à "Je est un Autre", ce que Raphaële Lannadère ne tardera pas à confirmer dans l'une de de ses interviews. D'ailleurs sur la couverture de l'album, Raphaële tourne le dos au spectateur (comme dans la célèbre photo des surréalistes) et sur le mur se dessine une ombre, vibrante. Ombre jumelle? Ombre de Peter Pan? Ombre inspiratrice de nobles sentiments. Ce premier titre pose le cadre d'un portrait de femme en cavale, tout à la fois terrorisée et élevée par l'amour mystique grandissant en elle, que matérialisent les roses. Ensuite portée par un rythme chaloupé, Sur mon île cisèlera ce portrait de femme volage, vivante quand elle chante qui "pleure en filigrane sous pluie traversière": une belle métaphore synesthésique qui reprend celle de l'écho vénitien.  Dans mes sommeils est sans nul doute la chanson qui me décide à écrire, l'interprétation est superbe. Elle provoque chaque fois une vague de frissons sur le crescendo des derniers "que tu me reviennes". Bouleversante. Bien sûr, on pensera à Dis, quand reviendras-tu? de Barbara. Quand les souvenirs s'estompent, que les rêves de l'aimé s'espacent, l'absence et le manque attisent la douleur. Bien sûr de nouvelles amours naîtront encore, mais pâles reflets de celui-ci, elles ne feront que passer: J'attends sans bruit. L'amour qui ne se dit est condamné à mort. Mon étranger décrit sans artifice la douleur du renoncement, du laisser-faire. La distance entre Je et l'Autre est immense, mais Je semble incapable de l'annuler par la simple magie des mots, qu'il maitrise pourtant à merveille. L'eau/amour s'est retirée, ne reste que le sel. Précieux symbole de sagesse, de l'équilibre parfait. Sans lui, les deux âmes sont condamnées à aller et venir, ignorant que leurs rêves mutuels les ont déjà symboliquement unies, en profondeurs. L'un peine à calmer son tempérament passionnel ("colères", "peines amères"), l'autre craint de perdre et de souffrir, et préfère se tourner vers "des rumeurs étrangères". De leur saison amoureuse ne restera que des mots écrits. Or c'est bien le courage des mots dits qui permet aux hommes de rester debout. Dans Gela, un homme brave le pouvoir des ombres. La composition de la partie rythmique est particulièrement soignée et soutenue. Appel, symbole d'insoumission, ce titre est le point culminant de l'album. Aussi Paradis redémarre-t-il lentement, piano, trompette et trombone y flottent. L'âme et le corps sont souffrants, atteints de paralysie. "Si je savais conduire"... L'automobile devient alors symbole d'une autonomie rêvée, de santé retrouvée. L'âme chuchote sa détresse, son désir de "voir mourir(...)le noir", son mal,  et de le voir se transmuer en "rose et or". Transfiguration qui ne peut se réaliser selon elle qu'en bord de mer... L'image de la mer, récurrente devient explicite dans Elle flâne. Par une foule de détails, nous pénétrons le cœur d'une mère, et par glissement, absorbons le patrimoine métagénéalogique de ce Je qui attend sa chance, ne se dit pas ni ne court après elle en criant si elle repart. La chanson Jeremy développera le thème de l'amour sauveur, guérisseur, elle confesse à mi-voix le lourd secret d'un amour contrarié, non consommé. Son mal porte aussi un autre nom: mélancolie, que Phtalates illustrera métaphoriquement. A l'instar de Kate Bush qui patinait sur un lac gelé, Raphaële patine sur une mer de plastique. L'oiselle reste engluée dans une marée/réalité noire,  son cœur et son esprit semblent incapables de s'en extirper. Le cadre s'élargit. Ce n'est pas seulement cette femme qui reste prisonnière de son mal-être, c'est l'humanité toute entière. Le néant se déchaîne en elle, s'oppose aux forces que représente l'Amour. Cette femme l'appelle de ses vœux et prières, il envahit ses rêves, et dès lors qu'il se présente à sa porte, gorgée de feu et de lumière, elle redoute les bouleversements qu'il portera avec elle, et prend la fuite... Les Soirs d'éclipse conclut à merveille sur cette impression douce-amère. Les rêves guident vers de possibles ailleurs, pourtant on reste hermétique aux lectures que l'on devrait savoir en faire. On demeure persuadé d'être l'objet de mirages quand sagesse répète "Love is all" (impossible ne pas penser à Roger Glover ici).
Raphaele Lannadère cultive l'art de la référence et de la mise en abyme, virtuose virevoltante... Si nous continuons de nous affairer à rester debout, nous n'oublierons cependant pas que nos ailes nous destinent à devenir goëlands. Par la confidence de cet amour demeuré inavoué, nous avons suivi le tempo d'une danse à contretemps, les petites séparations ont creusé des gouffres en apparence infranchissables. Demeure l'espoir, debout, et le rêve, qui ne demande qu'à se réaliser.  La mer unit en profondeur ce qu'elle sépare en surface. Remercions Raphaële pour l'authentique instant de partage que représente ce bel album.

2015 (Tôt ou Tard)

Vignette Lartsenic

 Critique écrite le 11 décembre 2015 par Lartsenic
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