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Interview d' Elysian fields

Interview d' <i></b>Elysian fields</b></i> en concert

l'espace Doun Rognes 28 février 2009

Interview réalisée le 02 mars 2009 par Jacques 2 Chabannes

"Un Duo Nommé Désir...".



Immédiatement, elle se dirige vers-moi et m'interroge du regard, sourcils aux aguets. Une interrogation doublée immédiatement d'une question un poil sèche : " Alors, elle est comment en vrai TA Jennifer " machin ", là... Hein ? ".

Je dois avouer que cette question me glace le pouls et que ma réponse s'avère piteuse, fusant au ras du sol : " Beaucoup, beaucoup moins bien, en " vrai ! ". Tu sais, tout ce que j'ai vu durant l'interview, c'est une sorte de pompiste, de cosmonaute naine masquée du visage par un vilain bonnet de laine, genre Péruvien alter-mondialiste... Qui ne dit mot et traverse les pièces en tirant une lourde valise derrière-elle... Voilà ! ".
La réponse semble la satisfaire, momentanément en tout cas. Du moins, jusqu'à ce qu'elle la voit " en vrai " sur la scène de l' Espace Doun deux heures plus tard : fragile, touchante, enveloppée dans une robe du soir " collée collée " et portée par une voix suave, grave, en limite d'envoûtement... Elle est comme ça, Jennifer Charles  : présente et absente, fragile et assurée des cordes (vocales) en équilibre et chancelante, frêle et imposante (d'humaine condition) à la fois. Quant au concert, il sera en tous points conforme à cette vision : fait de pleins et de déliés, de pics et de pauses, de briques très sonores et de broc(s) de vin rouge, d'envolées instrumentales et de puissants extraits d' Afterlife  : dernier album du groupe et chef d'œuvre certifié à déguster sans modération ni retenue.

Lorsque je pointe mes abattis et mes micros en cette superbe maison nichée aux fins fonds de la campagne Rognoise (ou " niaise " ?) : ils sont tous réunis autour d'un feu de cheminée bienveillant, Scrabble en pognes, vin rouge aux joues, attendant impatiemment d'en découdre en " live " avec Rognes et ses satellites provençaux. Porteur d'un duo de verres certifiés 100 % coopérative locale, Oren Bloedow (guitares, voix et co-fondateur du groupe) s'approche de moi, m'averti de l'indisposition passagère de son " Élyséenne " moitié et s'installe posément de l'autre côté de la très vaste salle à manger richement décorée (le groupe loge chez l'habitant !). La conversation s'installe alors doucement, sur fond de rires des convives, apparitions furtives de LA Jennifer en question, mots qui comptent " triple " et révélations orthographiques en tout genres...


Bonjour, comment se passe la tournée, les concerts ? Vous étiez à Lyon , hier soir, c'est ça ?

O. Bloedow : À Feyzin , oui... C'était pas... Génial, non.

Le groupe ne tournait pas... Le public n'était pas réceptif à ce que vous jouiez ?

O. Bloedow (d'une voix sombre, monocorde) : Non, non, ça, ça allait... Non. C'est moi qui n'étais pas très bien. C'est juste que... Ça n'est pas forcément une bonne période, pour moi...



Hors musique, forcément, parce que l'album The Afterlife , LUI est magnifique...

O. Bloedow (il sourit de pale) : Merci ! Est-ce que j'ai véritablement eu de bonnes années dans ma vie ? On a l'habitude de dire que de bonnes années sont encore devant nous, à venir, mais... La vie s'avère plutôt être un art difficile, tu ne crois pas ? Cela a plutôt tendance à être de pire en pire, au fur et à mesure, non ?
La plupart du temps, on accole le fait d'être dépressif à l'enfance, à son mode de fonctionnement, ce qui est étonnant car... L'enfance est plutôt une époque heureuse. Les enfants sont très entourés, protégés, n'ont pas de gros soucis, ils sont globalement en bonne santé... Quand ils ne le sont pas c'est tragique et c'est une toute autre histoire, mais... Ils n'ont pas de soucis ! Pourtant, en général, ils ont l'art de tout dramatiser, de prétendre que ce qui leur arrive est tragique, horrible, tout le temps, c'est leur marque de fabrique... Continuer, c'est la chose la plus infantile que l'on puisse faire !
Plus tard, lorsque de vrais problèmes surgissent dans ta vie et s'accumulent, tu te rends compte alors que ce n'était pas grave, et... Tu n'as pas envie de redevenir un enfant, non, mais tu gardes pourtant cette habitude de tout dramatiser et de te plaindre de façon infantile, du genre, " c'est terrible ce qui m'arrive, tout est pourri dans ma vie ! ", et... Tu as des enfants ?

... Oui, un de dix ans !

O. Bloedow : ... Tu sais donc de quoi je parle, je suppose qu'il doit parfois dramatiser à l'extrême, non ?

Oui ! Il est heureux, puis il est subitement malheureux, car quelque chose ne fonctionne pas comme il faudrait ou ne va pas dans son sens, puis il est de nouveau euphorique, puis triste, puis atteint au plus profond de lui, et ainsi de suite...

O. Bloedow : C'est peut-être important d'avoir un enfant, pour arriver enfin à remettre de l'ordre dans tout ça, non ? Tu ne pense pas que ta vie a changée, après son arrivée, que tu as appris des choses sur la psychologie humaine et son fonctionnement, que tu n'aurais peut-être pas appris sans sa présence ? Que c'est une leçon de vie importante...

Bien sûr. C'est marrant de voir à quel point c'est un enfant différent, chaque semaine, chaque jour, chaque seconde, presque...

O. Bloedow : Un autre à chaque fois, non ? Un que tu ne reconnais pas parfois, pas vrai ? Je pense que c'est ce que nous sommes, en général, que c'est le cas pour tout le monde, mais que c'est juste plus VISIBLE, chez un enfant ! C'est également ce qui se passe en interview. Les gens essayent de vous définir au travers de quelques questions posées, mais tu ne dis jamais vraiment la vérité, parce que tu es sans arrêt quelqu'un de nouveau ! Ce doit de toutes façons être une drôle d'expérience... Quelque chose de quasi psychédélique, d'avoir des enfants ! Dis-moi, quelles sont tes autres questions ?
Attends, il y a une chose que j'aimerais savoir avant tout, savoir si tu as le nouvel album et si tu l'as écouté...

Évidemment... Bien sûr ! (Il fait alors une mimique de dénégation qui me pousse à penser que tous ses précédents interlocuteurs n'ont pas toujours été très pointilleux sur la chose)... J'adore cet album. Je le trouve très beau, très abouti, musicalement accompli, meilleur que le précédent ( Bums Raps And Love Taps /2005) et porté par des textes splendides, très touchants... Plus on l'écoute, plus on y " entre " et plus on se rapproche du cœur des chansons, de leur atmosphère, des arrangements... Il se découvre au fur et à mesure, il se mérite, au fil des nombreuses écoutes...

O. Bloedow : Super ! Je le trouve meilleur également... Et, quoi d'autre ?

... J'ai été particulièrement touché par votre duo avec Jennifer, sur le dernier morceau , de l'album  Ashes In Winter Light . Il est très émouvant, parfois glaçant d'intimité révélée, mais en tout cas, proprement... Magnifique !

O. Bloedow : C'est sûr qu'il l'est... Intime ! Comment tu le caractériserais, toi ?

Je le vois empreint tout du long d'une sorte de " Nostalgie Amoureuse "...

O. Bloedow (il tique sur l'expression, me demande de lui expliquer sa réelle signification) : Je ne connaissais pas l'expression, mais oui, ça correspond...



Il est tout entier fait de regrets, de souvenirs, de joie, de sexe, d'émotions partagées, de petites choses quotidiennes déroulées, d'échanges, de moments quasi volés, semble faire le point d'une vie, de ce bref voyage ici-bas qui nous concerne toutes, et tous, et... Ashes In Winterland , m'a beaucoup touchée, remuée...

O. Bloedow (ravi, lèvres enfouies au plus profond de son verre de blanc) : Merci, ça fait du bien d'être compris ! Je suis sûr que ça ferait également très plaisir à Jennifer, rapport à son travail sur les textes... Merci !

Vous jouez les morceaux depuis quelques semaines, déjà... C'est une autre façon de concevoir ou se pencher sur les morceaux de l'album enregistrés quelques mois en arrière, comment est-ce que tu les vois, aujourd'hui, avec le recul ?

O. Bloedow : Nous jouons la plupart des morceaux de l'album en concert, c'est vrai, quelques exceptions mises à part, mais, je ne sais pas...Ce que je sais, c'est que j'essaie toujours de faire des choses différentes au moment d'aborder les enregistrements, d'avoir des approches différentes : sur l'un des albums, nous avions décidé de ne pas utiliser d'accordeurs, d'accordages spéciaux, c'était une autre façon de concevoir un album ! Sur un autre, nous nous sommes passés d'autres choses, encore, techniquement parlant, et ainsi de suite... Sur celui-ci, par contre, nous avons tout utilisé de nouveau...

Ainsi qu'une foule de petits bruits, instruments classiques, et diverses sonorités qui semblent faire corps avec les morceaux et les " colorer "...

O. Bloedow : Oui ! Cette fois-ci, nous avons tâché d'avoir, à la fois, de solides fondations et des enluminures, des décorations situées exactement au même niveau... Nous sommes d'ailleurs ici dans une maison d'architecte, comme tu peux le voir, et je pense, par ailleurs, que l'architecture est une très bonne métaphore pour caractériser un enregistrement musical. Certains sont très architecturés, très denses, bâtis quasiment sur des formules mathématiques, d'autres non, et... Nous avons essayé cette fois, d'avoir, à la fois, cette belle architecture, ces fondations solides alliées à une certaine esthétique de surface... Chacune des deux approches ne prétendant pas constituer l'ambiance de l'album à elles seules... Si chaque chanson est une pièce, elle exprime à chaque fois sa fonctionnalité, la raison d'être de chaque pièce, ensuite seulement, la vie y est insufflée et se balade librement au travers de cet espace, principalement grâce aux paroles de Jennifer... À la capacité qu'elle possède de créer un dialogue, une narration, pour chacune d'entre elles. Parfois c'est moi qui enclenche le processus avec ma musique, parfois, comme avec Ashes In Winterland , non, attends... Celle-ci nous appartient plus particulièrement : j'y ai apporté une suite de mots, de phrases, et elle a fait de même à partir de cela, elle est véritablement co-écrite !
Sur nos autres disques, cette vie est aussi présente, mais en deux ou trois pièces séparées, comme bâties sur du sable, prêtes à s'écrouler dans la mer... (Il mime la chose, puis me lance doucement, fataliste de la prunelle) ... De toutes façons, toute construction, quelle qu'elle soit, finit toujours pas s'écrouler, et... Même quand j'écoute certains albums des Beatles , je me dis parfois " ho, mon dieu, quel désastre ! "... Le temps améliore parfois les choses, c'est vrai, mais parfois, il met aussi à bât ces diverses structures...

Avec le recul, comment vois-tu celles que tu as érigées ?


HabO. Bloedow : Habituellement je suis, ou ne suis pas fier de ce que j'ai fait, cela varie... Et puis, je ne suis pas bien placé pour en parler, et... La dernière fois que j'ai écouté The Afterlife , j'en ai été particulièrement fier, mais bon, on verra plus tard si ce sera toujours le cas...

Dans un an ?

O. Bloedow : ... Ou dans une journée !

... On en reparle dès demain, alors ?

O. Bloedow : Une fois, très récemment, cet album à crée un véritable " bug " en moi... Une autre fois, par contre, j'ai presque pris la grosse tête, tellement je l'ai trouvé beau... Et puis, on en redescend rapidement par la suite, on désenfle, et on le trouve de nouveau brouillon, pas accompli... Pas inspiré...



Quand tu les joue en ce moment, sur scène, tu te retrouves connecté à elles, aux subtils arrangements de l'album...

O. Bloedow : On se situe forcément en dessous... Il y a certaines choses qui me semblent devoir rester fixées, telles qu'elles, et d'autres qui sont plus à même de pouvoir changer, d'évoluer vers tout autre chose, mais, hé, nous avons beaucoup de chansons, et jamais que 6 mains sur scène... Mais c'est un débat qui reste toujours ouvert ! Chris, qui est batteur à la base, mais qui joue de la basse et des claviers avec nous - ce qui fait que nous avons deux batteurs avec nous actuellement sur scène, avec Kenneth ! - a demandé à sa femme Daisy (qui est violoniste) de venir nous rejoindre sur quelques dates, dont Grenoble, demain... Il y aura également une bassiste sur scène avec nous, à Paris et Bruxelles, ce qui nous permettra d'avoir deux paires de mains supplémentaires, sur ces deux dates, et... J'attends avec impatience de voir comment tout cela va bien pouvoir fonctionner...

Est-ce que vous avez récemment pensé à sortir un album live, après six albums et de longues tournées effectuées un peu partout autour du globe...

O. Bloedow : Bien sûr, absolument ! Nous y pensons, mais... Nous pensons plutôt à la possibilité de sortir un concert filmé, un DVD enregistré sur une belle scène, avec un beau son... Ça pourrait se faire très rapidement, il suffirait de trois caméras de cinéma, ce serait chouette de le faire, mais, tu sais... J'ai déjà vécu ça, il y a très longtemps, pour un label Allemand qui voulait sortir un disque et un concert filmé en même temps, à l'époque, à Berlin, mais... C'était très stressant, très... Trop ! J'avais 22 ans et j'avais tellement stressé, que j'avais très mal joué... En plus, la musique que nous jouions était alors si forte, que je n'entendais plus rien à cet instant très précis... C'était terrible ! Bref, je suis mieux préparé aujourd'hui et c'est vrai que nous y pensons... Il m'aura fallu une autre vingtaine d'années pour être prêt, en fait ! Je suis plutôt lent à la détente, certains sont prêts à 25 ans, moi, il m'aura fallu 18 années de plus pour l'être...

Ce n'est pas ça qu'on appelle la maturité ?

O. Bloedow : Pas seulement... Il a fallu que je passe sur pas mal de choses liées à mon enfance, pour pouvoir avancer : l'alcool, la dépression, d'autres choses glauques... Je n'ai pas véritablement eu un bon départ dans la vie, tu sais... Ces dernières années sont de meilleures années, en fait... C'était lié à mes parents en fait, pas à moi... (Il tente alors de vite glisser vers autre chose) ...Tu as d'autres questions ?

Oui ! Tu as joué avec de très nombreux grands musiciens, comme John Zorn , Marc Ribot, Chocolate Genius, Me'Shell, John Brion , Jean-Louis Murat , bien sûr, et...

O. Bloedow : Oui... Ce sont tous des amis...

... Mais ce qui m'a véritablement surpris, c'est quand j'ai reçu " ça ", là... Dans ma boîte aux lettres...
(Je lui tends alors un exemplaire du fanzine planétaire n°1 de Bruce Springsteen  : Backstreets  ! Auquel je suis abonné !).

O. Bloedow (il s'en empare prestement et son regard s'illumine de frais !) :
Tu parles ! Hé, on était même le " house band " de la soirée... (Il détaille alors les différentes photos, commence à lire à voix haute, et... S'insurge en lisant l'intro les présentant !)... " Qui d'autre irait ainsi chercher un semi-obscur groupe local issu de Brooklyn appelé Elysian Fields ... "

O. Bloedow : Semi-Obscur ! ! ! (Il me regarde, semble monter en température, puis littéralement bouillir à l'intérieur, avant de se reprendre) ... Au moins ne sommes-nous pas COMPLÈTEMENT OBSCURS ! C'est déjà ça... En tout cas, c'était une journée et une soirée incroyable, ça ressemble bien à ce que tu peux voir sur ces photos. Ils parlent de notre version de Street Of Fire  ? (Extraite de Darkness On The Edge Of Town de Bruce Springsteen ). À la base, ça s'est fait avec Ed Pastorini , qui est originaire du New Jersey, lui, et trois autres membres de son groupe actuel qui ont également joué avec Elysian Fields , sur nos albums successifs... Ou en live !

Oren Bloedow et ses Elysian Fields d'un soir, ont donc servi de groupe de support, lors d'une soirée intitulée " The Music Of Bruce Springsteen ", qui s'est tenue au légendaire Carnegie Hall , le 5 avril 2008, avec des invités prestigieux, tels : Patti Smith , Odetta , Steve Earle , Badly Drawn Boy, Pete Yorn , Joseph Arthur , Jesse Malin , ou Ronnie Spector, chaque invité reprenant une chanson précise du " boss "... ".



Tu l'as fait dans quelle intention, dis-moi ? Parce que tu étais fan du personnage, de sa musique... Des deux ?

O. Bloedow : Depuis longtemps, oui ! Je n'ai d'ailleurs pas encore écouté le tout dernier ( Workin' On A dream ) comment est-il ? Il a été enregistré avec le E Street Band , non ?

Ben... Pas terrible, à vrai dire ! Il est surtout surproduit ! Les chansons se retrouvent noyées sous des nappes et des nappes d'arrangements, pas toujours très heureux. Ce qui a marché à l'époque, avec Born To Run , n'opère pas du tout, ici.

O. Bloedow : J'adore Born To Run , quel album...

Oui. D'ailleurs... Dans le DVD qui est donné avec le dernier album, on peut le voir en studio, jouer What Love Can Do aux autres membres du groupe, une chanson qui ressemble carrément à un inédit de The River , de prime abord...

O. Bloedow : ... J'adore The River , et les " outtakes " de l'album...

... Ce sont mes préférées, avec Darkness... Reste que, à l'arrivée, la chanson finit par ressembler à une chanson de Roy Orbison dernière période, boursouflée d'arrangements très Las Vegas , très " paillettes ", limite, variétoche... Alors qu'au début, u niveau du premier jet, c'était vraiment très prometteur !

O. Bloedow : Il faut que j'écoute cet album, de toutes façons. Tiens, je vais te raconter une anecdote, par rapport à cette soirée. Nous savions que Bruce voulait jouer Rosalita , nous avons dons appris à la jouer, puis, on nous a dit qu'il la jouerait finalement en acoustique, je me suis alors dit qu'il ne savait peut-être pas que nous la connaissions... Je suis donc allé le voir pendant les répétitions, il discutait avec Steve Earle et Patti Smith ... Tu sais, il est très cordial, très poli, tout le monde cherche à prendre un peu de son temps, et, bon... Vu que c'était quand même Steve Earle et Patti Smith ... Ça ne me dérangeait pas d'être le troisième " homme ", d'attendre afin de pouvoir capter son attention, et... J'ai fini par le lui dire, il m'a dit qu'il allait la jouer en acoustique, mais que nous " verrions plus tard ! "...
Le soir, le groupe et moi sommes restés proches de la scène, au cas où il voudrait finalement la jouer, mais il l'a faite en acoustique et mon cœur s'est mis à saigner, car j'avais eu cette vision de moi sur scène, jouant Rosalita à ses côtés, juste nous cinq et Bruce, quelque chose de bon pour mon ego, quoi... (rires !)... Bref, il a plaqué le dernier accord, s'est approché du micro et a alors lancé : " il y a des personnes ici, qui m'ont dit connaître la chanson ! Voyons ce qu'ils savent vraiment faire, allez, montez sur scène et rejoignez-moi ! ". J'ai crié. Je me suis dit, je vais jouer avec Bruce Springsteen , et puis il a alors demandé à tout le monde de le rejoindre sur scène... On était quelque chose comme quarante personnes sur scène, c'était comme quand les portes d'un métro s'ouvrent subitement et que les gens en sortent, comme si un bus venait de débarquait sur scène, je ne le voyais même plus LUI... Mais, bon, ça a été un très, très, bon moment...

Il ne t'a donc pas déçu...

O. Bloedow : Non ! J'aime sa façon de faire, de ne pas oublier d'où il vient, de laisser les autres s'exprimer, tout comme Iggy Pop , qui aime aussi laisser les gens monter sur scène pour partager, qui les y encourage, au grand dam de gens de la sécurité, quitte même à se battre avec eux quand il le faut... Bruce est comme ça, il aime ouvrir l'espace, ne cherche pas nécessairement à être seul, au-dessus, au centre des choses...



Pour en revenir plus particulièrement aux chansons du nouvel album, je trouve les paroles de  Only For Tonight , très belles, très poignantes... Ainsi que la musique, qui commence comme une bossa un poil légère, et qui tremble sous les frappes de batterie et les sons en tout genres, pendant que Jennifer susurre ce très beau texte où elle semble se livrer entièrement...

O. Bloedow : Tu sais, elles sont belles, oui, mais, très humoristiques, aussi ! Ce que les gens ne perçoivent pas toujours au niveau des paroles de Jennifer, qui est quelqu'un d'incroyable, qui improvise beaucoup, sur le vif, qui compose très facilement, les choses sortent d'elles naturellement, elles coulent... Bref, tout le monde est capable de chanter " je serais ta Baby Doll ! ", ok, oui, mais ton " mur, ton très grand mur, que tu pourras voir depuis la lune ? ", personne ne s'offre à l'autre de cette façon. C'est là le génie de Jennifer, de pouvoir rebondir facilement et de transformer les choses... Elle part de choses basiques, faciles, puis les fait basculer, personne n'a envie de devenir " ton couteau tranchant "... Ta " jolie petite femme ! ", ok, ça oui... Tu vois ? c'est pour cela que j'aime travailler avec elle, elle passe souvent du prévisible à l'imprévisible, ne va jamais là où on l'attend, reste fraîche, en fait...
La chanson en elle-même, vient de ce jour où je jouais sur un nouveau clavier Casio que je venais d'acheter sur Ebay , et... On tournait sur un rythme, avec un seul doigt, et... J'étais assez désappointé par ce que j'en sortais, et... Elle est arrivée et s'est mise à improviser l'ensemble des paroles, ou pratiquement, puis nous l'avons enregistré... 90 % de ce qui vient d'elle, vient d'une seule et unique prise... D'un seul jet. Tout est sorti comme ça, d'un seul jet ! Moi, il faut toujours que je change, que je ré-agence, tout le temps ! À vrai dire... Ce que j'ai fait de mieux en musique provient certainement de notre collaboration à tous deux...

Tu penses à des chansons particulières ?

O. Bloedow : Non ! Je sais qu'il y a quelques sommets dans chacun de nos albums, mais peut-être que celui-ci en contient plus, ou au moins deux... Peut-être ! Enfin je te dis ça, aujourd'hui...
Tu te souviens de Jack In The Box  ? Sur Bleed Your Cedar (1996)...

Oui ! Vous en aviez fait une superbe version à Paris à cette même époque, pour une émission de télé...

O. Bloedow (il me regarde un peu attéré...) : Peut-être... Bref, tu sais sans doute que ça part d'un fait divers ?

Non, non...

O. Bloedow : C'est quelqu'un qui avait été retenu captif pendant 3 ans, avant qu'on le libère, nous l'avions vu durant une émission, conter toute son histoire et Jennifer à écrit la chanson à partir de là... Jack In The Box , je ne vais pas te dire que c'était une chose marrante, ce qu'elle en a fait... L'histoire en elle-même, non, mais l'idée que ça ait pu arriver, et... Au bout du compte, avec le recul, on peut plus s'amuser des choses, les travestir, et puis, tu sais, actuellement, vu la situation, il faut que l'humour reste présent en tout... C'est la seule façon d'arriver à supporter les choses, les accepter, les vivre ?

Maintenant, aujourd'hui, de par l'accès direct aux nouvelles technologies, ce genre de choses, le moindre micro évènement traverse le monde et vous revient en pleine poire en quelques minutes, à vitesse grand V...

O. Bloedow : Oui, mais tu sais, les nouvelles technologies... Le modernisme... Tout cela est une notion plutôt variable...
Parfois, quand les gens se projettent dans le futur, c'est comme ça qu'ils voient le modernisme, ils le voient comme un progrès, la plupart du temps : ils s'imaginent vivre dans de grandes cités scintillantes, brillantes, propres... Alors que, en fait, cela risque plus de ressembler à des terrains vagues, des étendues débordantes de déchets un peu partout, avec des gens enterrés dessous, fixés par le soufre... Je ne pense pas que les gens aient toute capacité à bien imaginer le futur, parce qu'ils VEULENT absolument voir cette radieuse cité et pas le terrain vague, ils ont des difficultés à se projeter réellement, à se connecter avec le monde, avec l'écologie, ou tout ce que cela représente. Je suis venu ici chez-vous en pensant y trouver autre chose, une autre conscience, mais, bon ce matin, à l'hôtel, je me suis retrouvé devant ma télé à regarder une émission avec je ne sais quelle célébrité qui alternait entre interviews, images de sa vie, d'autres stars la célébrant, et... Tout ce qui compte aujourd'hui c'est la beauté, le paraître des " stars "... Aux USA, ok, une partie de la culture reste essentiellement jetable, c'est de la merde, quoi... Mais, bon, ici, s'il existe toujours ce grand mythe de la culture Française, de ce très beau passé, de son histoire, de ce mythe, il existe aussi désormais les mêmes visages jetables et plastiques que chez-nous, et...



... Comme toute cette putain de MySpace Communauté...

O. Bloedow : En plus, MySpace appartient à Rupert Murdoch , ce n'est qu'un relais pour ses networks ! Je pense que c'est uniquement une histoire d'hormones, au fond, d'énergie sexuelle, ce qui se passe sur le Net ! Freud avait une très bonne compréhension de la sexualité et il était plutôt visionnaire... Je pense qu'une grande partie de tout ce truc, ne tourne qu'autour de ça... Ce qui n'est pas nécessairement négatif, non, le sexe est une force positive en soi, qui peut faire avancer les choses... Ça m'arrive aussi d'écumer les chaînes de télé ou le net pour tomber sur quelque chose de " sexy ", ils ne LE savent que trop, EUX !

Oui, mais, tu as des centaines de gens qui rament sur le net pour tenter d'y imposer leurs créations, leurs écrits, ou autre, et qui traquent l'ami et les connexions un peu partout, sans relâche, sans grande réussite, et, d'un autre côté, tu te retrouves avec Lola ou Pamela " machin ", qui fout son cul en 16/9e sur l'écran et qui fait péter les connexions en un rien de temps, qui se retrouve avec de quoi remplir une ville entière, avec ces fameux " amis " tant prisés...

O. Bloedow : Oui, ils tentent de partager constamment cette culture du vide, cette culture de masse, quelles que soient les avancées technologiques, ce fameux modernisme, dont nous parlions... C'est un véritable challenge qui reste à relever, transcender tout ça et se sublimer en dévers de toute technologie...
Une partie de ce qu'exhalaient les " anciennes " technologies permettaient aux gens de se fabriquer des mondes, des espaces, de les partager... Je ne crois pas que Tolstoï aurait tiré grand-chose de MySpace , ou du Net... Je suis content d'avoir passé une partie de mon enfance entouré de livres, à les lire. J'aime m'évader dans ces mondes, ces espaces...
Certains des enfants que je vois en ce moment, sont accros à leur ordinateur, leurs jeux ou la télé, comme à du crack, et en redemandent constamment, quoique... J'imagine que c'est pratique pour les parents de les coller là-devant et qu'on ne peut pas faire autrement...

Je pense que si ! Mon fils passe le plus clair de son temps le nez fiché dans un bouquin, entre deux écoutes de CD's...

O. Bloedow : Tu as de la chance alors... Remarque, moi aussi, j'ai été élevé là-dedans, mon père était complètement fou de musique, il y avait des vinyles partout, il achetait même certains disques en double, ceux qu'il appelait les " grands disques, les chefs-d'œuvre... Et il me les faisait écouter, pareil pour les livres... Je n'ai pas été élevé comme un enfant, plutôt comme un adulte, très tôt...

Moi, je lui file, un CD par semaine, et il l'écoute en boucle, six ou sept fois dans la même journée, sans arrêt, sans répit, pendant sept jours... Ça me rend fou ! J'en finis parfois par détester certains des groupes que j'adore pourtant depuis toujours...

O. Bloedow : Ça me convient tout à fait ! J'en suis capable aussi. Pendant des mois, je commençais toutes mes journées en écoutant Cry Of Love de Jimi Hendrix , tous les jours, d'ailleurs, tiens... Il y avait une fille, dans mon groupe de thérapie, qui était arrivée très en retard un jour en disant " j'espère que tout le monde me comprendra, mais, j'écoutais Abbey Road et je n'ai pas pu couper la musique avant la fin, je ne pouvais pas couper au milieu... (Nos rires dérangent visiblement le caniche du cru qui nous montre ses canines... Ou baille ?)...
En ce qui me concerne, je préfère de loin Let It Be à Abbey Road , que je trouve raté en partie, et pourtant, je suis un fou maniaque des Beatles ...

Attends, rien qu'avec Something , Oh ! Darling , Come Together , ou I Want You , y'a de quoi mériter l'appellation chef-d'œuvre, non ?

O. Bloedow : Ouais, c'est vrai, mais... Y'a cette deuxième face, et puis, surtout, y'a Maxwell Silver Hammer , que je déteste, que je hais... Je suis parfois capable de déclarer que c'est le pire album du groupe, juste parce qu'il contient cette chanson...



Ça me fait la même chose avec Yellow Submarine ...

O. Bloedow : Ha, bon ? Non, je l'aime bien, moi... C'est vrai ? Non, Maxwell est pire... C'est évident ! Je n'imagine même pas la tête de John Lennon en train d'enregistrer cette chanson, face à Mac Cartney ...

Tu ne parles pas de l'impact de ces nouvelles technologies sur la musique...

O. Bloedow : Autant je peux facilement quantifier l'impact des nouvelles technologies sur la musique, et ses conséquences sur le marché actuel, autant... Je n'imagine même pas l'humanité être capable de justifier, défendre, valider ou entériner la raison de sa présence sur la planète, sans avoir jamais été sublimée par la force de la littérature... C'est impossible, ce serait sans espoir.

Tu essayes toujours de toucher les gens individuellement ou collectivement pour les mener vers tout autre chose, quand tu es dans une démarche artistique... Non ?

O. Bloedow : Tu dois trouver un sens à ta vie, personne ne le fera jamais à ta place, donc... Je lis, et je fais de la musique ! Quoi d'autre ?

La partie de Scrabble tire à sa fin, la bouteille commence à sonner creux, et les flammes lèchent paresseusement l'âtre, lorsqu'Oren décide de s'éclipser pour aller se vêtir en vue du " Doun " show.
Un Oren véritablement impressionnant le soir venu, guitares (ou basse) en mains : (re)bondissant sans cesse d'arpèges délicats en sonorités torturées, d'accords plaqués avec plein des doigts qui vont chercher loin les cordes - qui les tirent, qui les triturent - sans oublier de poser un regard empreint de tendresse (ou d'amour) sur celle qui se trouve en permanence à quelques décimètres de sa six cordes et devant laquelle il finira par s'agenouiller (de dévotion ?) le temps d'un rappel soyeux. Un concert hors du temps, une salle hors normes, un son enveloppant des pavillons, le tout au service d'une soirée à archiver au plus vite, histoire de ne pas risquer de la paumer plus tard en route, par la faute d'une suite de synapses et neurones plus fainéantes, ou moins efficientes que les autres...




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> Réponse le 04 mars 2009, par Magic

[Espace Doun - 28 février 2009] Bravo ! Je suis bluffé par l'interview et ce que dit Oren Blodoew, c'est juste super, il est touchant et un peu barré aussi, c'est sûr qu'il faut pas s'attendre qu'a un truc musical avec jack 2 chabanne et que c'est tant mieux, dommage que la belle jennifer n'ait pas participé à ça, ç'aurait pu être encore meilleur. merci !  Réagir


Elysian Fields : les dernières chroniques concerts

Elysian Fields en concert

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Concert absolument divin d'Elysian Fields dans le cadre ultra intimiste de The Embassy, une toute petite salle très cosy située au cœur du centre historique de... La suite

Elysian Fields en concert

Elysian Fields par Sami
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Fin de saison en apothéose pour la Meson pour ce dernier concert "entre les murs", avec ni plus ni moins que les New-Yorkais d'Elysian Fields, que la salle avait programmé au... La suite

Elysian Fields en concert

Elysian Fields par Pierre Andrieu
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Elysian Fields en concert

Elysian Fields par Pierre Andrieu
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