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Interview de Nini et François du Non-Lieu

Interview de Nini et François du Non-Lieu en concert

Non-Lieu, Marseille 12 mai 2016

Interview réalisée le 17 mai 2016 par odliz

Rendez-vous au au 67, rue de la Palud dans le 6ème à Marseille au Non Lieu avec Nini et François, les tenanciers depuis deux ans déjà de ce qui fut un restaurant italien, puis un temple Bouddhiste, et ce qui est aujourd'hui un lieu bigarré, à la croisée des chemins artistiques, entre ateliers, performances et spectacles de tous horizons. Du moment qu'il y a du cœur et du grain. Ils s'installent sur la banquette en cuir, à l'aise, souriants. Leur précieux régisseur est aussi de la partie. En début de soirée, le fils de François vient exposer ses toiles. Substance d'une interview bonne franquette que j'ai dû à mon grand regret quelque peu ratiboiser pour des histoires douteuses de calibrage et d'espace disponible sur un dictaphone de fortune.


Le Non Lieu porte déjà en lui la négation de son état ; pourrait-on résumer ça par l'envie d'être ailleurs et partout en même temps ?
François : C'est très très dur de choisir un nom de lieu. On avait tout un tas de noms provocateurs qu'on n'a pas gardé, genre Le Trou. Et puis Le Non Lieu, on l'a gardé pour son ambiguïté criminelle.
Nini : Cette espèce de négation-affirmation, on a trouvé ça pas mal.

Est-ce plus compliqué/ frustrant ou rassurant/ plus fonctionnel d'avoir un lieu dédié ? Est-ce que vous ressentez le besoin de vous éparpiller ailleurs ?
Nini : Ça limite un peu, du coup on ne sort pas trop, sinon on serait tout le temps dehors. Mais on aime bien quand même être chez nous.
François : Le fait d'avoir un lieu, c'est comme un ancrage, on est obligé de s'organiser pour sortir. On pourrait à terme imaginer quelqu'un qui prendrait le relai, pour être un peu libre.

Quel serait un premier bilan du Non-Lieu après deux ans d'ouverture, en terme de public, de spectacle et d'implication dans la vie culturelle locale ?
On sent chez vous la volonté de recréer une petite communauté, comme une famille, une troupe. Comme du temps de la vie communautaire et du cabaret itinérant chez toi, Nini et des différents groupes de musique pour toi, François...

François : On aimerait recevoir les gens comme on aimerait bien être reçus. Après un spectacle, j'ai souvent ressenti des frustrations ; je trouve que l'après est aussi important, humainement et culturellement, que le spectacle.
Nini : Avoir un lieu nous permet de voir des choses qu'on n'arrive pas vraiment à voir ailleurs, d'inviter des gens, de laisser la place à des formes d'évènements qu'on n'a pas dans d'autres lieux, et puis il y a aussi des choses qu'on a envie d'essayer. Tu peux pas le faire quand t'es pas chez toi !
François : Les lieux sont dédiés, spécialisés. C'est quelque chose qui fonctionne mais qui personnellement m'agace, parce que ça correspond à des comportements humains. On est tous dans une ou deux spécialités, alors quand les gens ne savent pas trop se situer, ils ont beaucoup plus de difficulté à exister.


Quand vous écoutez un morceau, vous avec une oreille de musicien, de mélomane pour les deux, ou de musicologue -François- / de quelqu'un qui a versé dans une double culture, un double langage -Nini- ?
Nini : Laisse-moi réfléchir !
François : Pour moi, il y a vraiment plusieurs aspects. L'aspect négatif, c'est que, quand je n'écoute pas de musique, j'aime pas tellement en entendre. Hier soir, on a entendu un rap américain absolument formidable, et là j'étais content, mais en général, j'aime pas qu'on me l'impose.
J'ai plusieurs écoutes. D'abord une écoute non-critique, qui est l'une des meilleures qui soit. Mais quand tu connais beaucoup de musique, c'est difficile de partir dans une écoute non-critique, de comparaison ; il faut se refaire une virginité d'oreille. Des fois, c'est extraordinaire, tu écoutes quelque chose que tu connais mais tu ne le reconnais pas. Ça arrive, ça m'est arrivé. On a parfois de belles surprises.
Le problème de la fausse note, je pense qu'on a quand même une approche de la musique suffisamment large où la question finalement ne se pose pas. Si tu prends le blues par exemple, le mauvais musicien, c'est celui qui va jouer du blues scolaire, qui va être parfaitement dans la mesure... la notion de "bien, bon" est relative. Il faut savoir écouter des musiques qui n'ont rien à voir et savoir les écouter dans leur esprit. Le western swing, presque personne ne connaît, mais c'est génial. Comme le rap, on ne peut pas dire que j'en écoute beaucoup, mais il y a notamment un mec que j'aime beaucoup, c'est MC Jean Gabin .
Nini : C'est la personnalité de la musique, d'un interprète, à plus forte raison la personnalité vocale qui me branche, avec des répertoires qui ne m'auraient pas forcément intéressés. Le grain de la voix et ce que je peux imaginer de l'artiste. Comme Joséphine Baker par exemple.
François : Sauf pour les musiques que je ne connais pas bien, ce qui peut me gêner quand j'écoute un morceau, c'est souvent quand je détecte la personnalité du musicien. Il y a quelqu'un que je ne citerai pas parce que j'ai pas envie d'en dire du mal, hé bien, j'avais une sorte d'intuition : je me suis dit, ce mec, ça doit être un sale con, sans rien savoir de lui, mais je l'entendais quelque part dans sa musique. Même si c'est très bien ce qu'il chante, hé bien il s'avère que c'est un connard.
J'ai lu une interview de Sun Ra en 1965 qui disait : "pour moi le jazz, c'est devenu une musique commerciale, ils font tous la même chose". Il a foncièrement raison, et pourtant il parlait d'une musique qui était encore relativement jeune à l'époque.
Et là tu pleures quand tu rencontres les gens, bah non justement tu pleures pas, t'arrives pas à pleurer.
À Nini : Ce qui t'enquiquines dans le jazz, c'est l'instrumental.
Nini : C'est le côté de la perte du thème. Selon les formations, il y a des schémas d'improvisations qui me parlent plus, qui sont plus structurés. Souvent, c'est une sorte de divagation, tu ne sais pas où ça mène. Le be-bop, tu vois, ça me gonfle un peu.

Vous prenez la musique comme un élément en lien avec une histoire, une culture, un souvenir ou comme une bande-son qui colore votre quotidien ?
François : C'est un sujet très psychologique. Dans toutes les musiques contemporaines, il y a un noyau mélodique qui n'est pas forcément décelable. La mélodie est au centre de tout. Il y a quelque chose qui doit chanter dans une musique, quelle qu'elle soit.
Nini : Il faut que ça raconte quelque chose et que ça aille quelque part. Ça peut être avant-gardiste ou contemporain mais il faut s'y retrouver. Il y a quelque chose qui doit revenir, que tu dois retrouver.
Une autre façon pour moi d'appréhender la musique, c'est par la danse. J'ai fait de la danse jazz, modern jazz et du contemporain. Le modern jazz, surtout, parce qu'on se sent moins dans un carcan qu'avec la danse contemporaine.
François : À l'époque, les formats étaient très rigides, ils étaient calibrés pour être pressés sur des 78 tours. Il y a des limites qu'on a moins en live. Un mec comme Coltrane est capable de faire durer une impro pendant 10-12 minutes, c'est exceptionnel.
Nini : Tu pars du résultat que tu veux obtenir.
François : Je trouve qu'aujourd'hui, on est dans la performance de la durée.
Nini : Il y en a qui se perdent en route.

François, comment es-tu arrivé au jazz ? Tu avais 20 ans en 68, on était déjà dans le free-jazz, qu'est-ce qui t'as donné le goût du jazz plus classique et quel a été ton processus d'assimilation du jazz ? (du free au be-bop en passant par le swing / à travers la musique sur vinyl, la musique vivante dans les clubs, ou la musique jouée)
François : D'abord je fais partie d'une génération avec des parents qui ont vécu la guerre, alors le jazz, c'était un peu une libération, on avait des tourne-disques comme évasion. Il y avait Duke Ellington , Django Reinhardt , et quand t'es minot, tu te jettes sur tout parce que tu sais pas ce que c'est et c'est très bien. T'écoutes de tout, ça peut être Ravel , du jazz, n'importe quoi. Et puis, à douze ans, t'as la mutation qui se produit. C'est banal, hein, tu vas acheter tes premiers disques. Pour moi, c'était du rock français. Les Chaussettes Noires , parce que j'avais deux cousins qui étaient des voyous, et je les admirais, je voulais être comme eux.
Nini : Ça sert d'avoir des aînés !
François : Tu vois que c'est en anglais, et il y a des références, alors tu vas chercher, avec tes petits moyens. Et plus tes moyens sont petits, plus t'as des chances de faire quelque chose avec. C'est ce qu'on appelle la richesse du pauvre. Alors, pof, t'es dans le rock, et qu'est ce qu'il y a à côté, le blues. Et puis, il y avait plein de choses différentes, Ray Charles , Charlie Parker , tous les disques que t'achètes à pas cher. Et puis le free jazz débarque. Je pouvais jouer du saxo free jazz, faire du blues à côté et avoir un petit orchestre de rock minable. J'ai commencé par la batterie, alors c'est compliqué la batterie, parce que comme dit l'histoire, quand t'as fini de plier ta batterie, la nana, elle est partie !
À Marseille, il n'y avait pratiquement pas de scène, on se retrouvait les mêmes dans des endroits qui n'étaient pas faits pour ça. À l'époque la scène musicale était tenue par le Milieu - sans eux, aux Etats-Unis, le jazz n'aurait probablement pas longtemps survécu. J'ai joué dans un club de travelos et je faisais ce que je voulais, j'avais carte blanche. Sinon, c'était terrible, très compliqué.

Qu'est-ce que vous pensez des lieux jazz à Marseille ?
Nini : Il y a Le Cri du Port (8 Rue du Pasteur Heuzé), c'est une institution. Moi je l'ai connu plus récemment. Il y a aussi l'Arthémuse (5 rue Armand Bedarrides) avec tous les jeudi soir, des jam sessions. Au petit Dieudé (80 Rue de la Palud), tous les 15 jours, il a un petit trio qui joue. Le patron est un amateur de jazz. Il y aussi La Mesòn (52 Rue Consolat), c'est assez progressiste. On y écoute du flamenco et du jazz, un peu contemporain. Ils ont une programmation assez sélective.
François : Le type du Dieudé fait partie de ces gens qui sont imprégnés par la musique. Le club de jazz, c'est un lieu mythique -ce qu'on n'est pas du tout ici- le Le Cri du Port , c'est une vraie salle, il y a des cours de musique et tout, mais c'est pas un club. Et le jazz, c'est quand même club.


Un mot sur les festivals Jazz à Marseille, le Festival de Jazz des Cinq Continents ( François est conférencier en marge du festival ) et Jazz sur la ville. Est-ce que Marseille peut concurrencer d'autres festivals comme ceux de Marciac, d'Antibes et de Vienne ?
Nini : Jazz sur la Ville , ce n'est pas un festival, c'est plus un événement. C'est un vaste partenariat avec plusieurs salles à Marseille et dans la région, ça se passe même dans un hôtel, l'hôtel C2 près du Cours Pierre Puget (48 Rue Roux de Brignoles) avec des soirées scènes ouvertes, le mardi je crois, ils font un apéro jazz.
François : Non, je ne pense pas que Marseille concurrence le reste. Marciac, Vienne, il y a les années qui comptent et ils ont aussi les moyens. Le public est moins local. À Marseille, on ne va pas aux Cinq Continents comme on va à Antibes.
Nini : Les artistes vont aussi d'un festival à un autre. Du coup peut-être que c'est plus classe d'aller à Antibes que d'aller à Marseille. Il y a une réputation différente ailleurs.
François : Dans ces villes-là, tu n'y vas que pour le festival. Tu ne vas pas à Marseille que pour aller au festival. Tu y vas aussi pour autre chose. Tu n'associes pas spécialement le jazz à Marseille. On est trop grand pour ça.
Et le jazz à Marseille était aussi très lié à une certaine bourgeoisie qui a disparu, une bourgeoise encore suffisamment snob pour investir un peu dans n'importe quoi. Mais c'était des bourgeois de culture. Maintenant, ça se dénature. C'est un public de chirurgiens, de commerçants riches. C'est pas très positif ce que je dis ! Les gens qui sont actuellement de la bourgeoisie à Marseille, bien que je n'en connaisse plus trop hein, ce ne sont pas des gens de culture, ce sont des marchands de tapis.

C'est important de décloisonner ? Vous pour qui le mélange des genres et la transversalité est au cœur de votre art : du jazz classique au rock expérimental, en passant le swing, la musette et la chanson à jeu de mots (François). De la danse au cabaret en passant par le mime (Nini)
Que des Grecs en slip versus que du kilt sans slip
Après Homère I, Homère II
(Nini : et le trois, c'est Homère-dique ! )
François : Je vais m'intéresser à des choses que je connais beaucoup moins bien, parce que je suis comme ça. Et tu vas voir des ponts entre les styles.
Le décloisonnement, c'est pas forcément que musical, c'est surtout humain. Autour du bar. Quand humainement, il se passe des choses, ça pour moi, c'est important. Quand on a joué La Chanson Coloniale ( "Y'a bon, mirages de la chanson coloniale", spectacle musical et visuel présenté le 3 décembre 2015 à l'Espace Julien ), on a tenu à ce que ce ne soit pas payant. Et j'ai rencontré des gens que je ne connaissais pas du tout et qui venaient m'interpeller ; c'était des punks, et je me suis régalé ! Ça m'a fait plaisir. Ils n'avaient pas forcément tous les codes mais ils sont, d'une certaine manière, allés à l'essentiel.

Le cabaret comme art de la chanson et comme lieu/ forme d'art.
Quelle est ta définition du cabaret ? Et quelle différence vois-tu entre un chanteur et un chansonnier ?

Nini : Le cabaret, je vois ça comme une représentation.
Il n'y a pas trop de tradition à Marseille. Scotto , Alibert , c'est plus du music-hall. Il y a eu quelques endroits, mais on n'arrive pas à trouver de documents dessus. Moi ça m'intéresserait. Poupon , il était où ce mec ? ( Henri Poupon, 1884-1953, chansonnier, auteur dramatique et comédien marseillais )
Le chansonnier, c'est plus un cabaretier politique, que tu entendais à la télé, à la radio ou au Caveau de la République . C'est une tradition post-communarde, dont Bruant fait un peu partie. ( Nini avait créé et mis en scène à Sydney avec le Nini Dogskin Ensemble un répertoire des chansons d'Aristide Bruant ).
Le cabaret, c'est moins noble, c'est plus populaire.
François : Il y a des chansonniers qui faisaient quatorze cabarets dans la soirée, mais c'était pas difficile de remplir ces endroits-là.
Mais les impôts, la SACEM, ça a crevé ces lieux-là. Institutionnaliser, rationnaliser, tout pour faire du pognon.

Qu'est ce qui peut être considéré comme du cabaret, par exemple aujourd'hui ?
Nini : Il existe quelques endroits comme Les Blancs Manteaux à Paris, mais ça devient des endroits à touristes. Comme Le Lapin Agile . Ce sont devenus des boites à touristes.
Le café théâtre, c'est maintenant un lieu de stand-up, avec des comiques. Il y a une connotation un peu péjorative.
Les chansonniers se basent sur l'actualité politique. Pierre-Jean Vaillard , tout le monde était pendu à son émission, ça passait le dimanche midi à la radio (l'émission "le club des chansonniers" sur RTL, à l'époque Radio Luxembourg ).
François : Il y en a encore un peu, même sur des media de grande écoute, comme France Inter .

Nini Cabaret : Idée de transmission d'un patrimoine ? Quelle est l'essence du cabaret ?
Nini : Oui c'est une transmission ; le cabaret est un style que j'adore. Au contraire du théâtre, avec le cabaret, tu n'as pas de mur entre le public et le performeur. Traditionnellement, tu peux descendre dans la salle et chanter ton truc assis à côté de quelqu'un. Tu es plus proche du public, tu crées une complicité avec. Le cabaret a une qualité de communication différente du théâtre. Mais le théâtre forum, le théâtre de la distanciation, didactique, c'est encore différent. C'est politique.


L'importance de la mise en scène : est-ce pour soi-même, se dissimuler ou pour porter une thématique, faire passer un message de façon plus subtile ?
Nini : Quand tu es en scène, tu as un aspect scénique à assumer. Moi je suis toujours étonnée par les musiciens de jazz qui débarquent en pullover et en jeans... Il n'y a aucune mise en scène.
Sur scène, tu es toi, mais c'est toi et pas toi. Tu joues sur plusieurs tableaux.
C'est la magie de l'acte théâtral, de l'acte cabaretier. Avec le jazz, tu ne voyages pas de la même façon.
François : Je pensais à Michel Simon . ( François a écrit une biographie sur Michel Simon Michel Simon, ombres et lumière, éd. ViaValeriano, 2003 ). Quand tu es acteur, tu fais de la mise en scène. Il faut avoir l'idée de la globalité, prendre conscience que tu participes à un tout. La représentation de la mise en scène, c'est vraiment le noyau.
Nini : Parce que ça aide à comprendre l'histoire. Tu es en scène pour dire quelque chose. Toi, la façon dont tu apparais, où tu joues ; il faut que ça aide à la compréhension, ou à l'incompréhension, enfin à ce que tu choisis de faire passer. C'est nécessaire. La façon de bouger sur scène, de t'asseoir sur le bord, ça veut dire quelque chose.
François : Si en scène, je fais ça ( François se touche le nez ) ça prendra de l'importance. Chaque geste a une grande signification, parce qu'il est fait sur scène. Il y a plein de comédiens qui l'oublient. Il n'y a pas de petits moments. D'ailleurs, tu ne sais pas quels sont les grands. Les petits moments peuvent devenir de grands. Le spectateur va se raccrocher à de petites choses, parce que c'est comme ça que l'esprit humain fonctionne.

En plein milieu d'une débauche d'ouvrages musicaux, on s'aperçoit que tu as aussi versé dans le polar en écrivant un Poulpe ("Don qui shoute et la manque", éd. Baleine collection du Poulpe, 1998). Ça fait quoi d'écrire du polar ? Comment ça t'est venu ? Tu as le numéro de JB Pouy ?...
François : Oui je dois l'avoir sur moi. C'est venu parce que je connais des gens comme Pouy dans le milieu. Et c'est lui qui m'a fait rentrer dans le truc du Poulpe . La plupart des gens n'ont pas été payé et je n'ai rien lâché, pour le principe. Les auteurs ont carrément monté une fronde et sortaient des petits manifestes, résolus à aller jusqu'au bout, et puis il y a eu des coups de pression, du chantage, donc à la fin on s'est retrouvé à trois... Après j'ai quitté le milieu à cause de ça.

La baronne Pannonica de Koenigswarter ("celle qui attend le roi"), mécène américaine des plus grands jazzmen de l'époque posa à 300 artistes (dont Sony Rollins, Miles Davis, Thelonious Monk...) la question suivante : "Si on t'accordait trois vœux qui devaient se réaliser sur le champ, que souhaiterais-tu ?". Leurs réponses - illustrées de photos prises par la baronne- sont présentées dans l'ouvrage Les musiciens de jazz et leurs trois vœux, paru en 2006 aux éditions Buchet-Chastel.
Aux trois vœux de Monk ("1/ Que ma musique ait du succès ; 2/ Que ma famille soit heureuse ; 3/ Avoir une amie géniale comme toi"), Pannonica ne peut s'empêcher de répliquer : "Mais enfin, tu as déjà tout ça ! " Quels seraient les vôtres ?

François : Moi je répondrai comme elle, d'une certaine manière. Je dirai que je n'ai pas besoin de vœux, parce que j'ai déjà tout ça. Je pense qu'on réalise soi-même son propre vœu.
Nini : Moi je souhaiterais aller de l'avant et continuer à faire ce qu'on aime. Tu te dis parfois, ça va durer combien de temps ? J'aimerais continuer à produire pendant un bon moment encore.

Nini, de Marseille à Marseille via l'Australie, qu'est ce que ça t'a apporté d'aller au bout du monde ? Qu'es-tu allé chercher ? Qu'est-ce qui est australien chez toi ?
Nini : Déjà, je suis australienne ! Vivre là-bas, ça m'a apporté le plaisir d'avoir connu une société cool, enfin du moins à l'époque -parce qu'il paraît que ça s'est durci énormément- qui n'a pas une histoire, un passé qui t'écrase. Il y a des choses que je ne retrouve pas ici, une multiculturalité, une certaine fraîcheur dans la création artistique. Quand je suis revenue à Marseille, j'étais surprise par le cloisonnement, par toutes ces cliques qui ne se mélangent pas. La performance, ça existait vachement en Australie. Peut-être parce que c'est un pays anglo-saxon.

François, de Toulon à Paris via Londres et la Belgique, en ouvrant un peu tes écoutilles, est-ce que tes séjours dans le nord ont influencé ta carrière et ton oreille sur la musique ?
François : Je suis très belgophile. Si ce n'était pas pour le climat, je serai resté en Belgique. Il y a une proximité très facile, très rapide et en même temps très profonde, tranquille. Même si ça s'est durci, le fond est quand même là.
Pour en revenir à Marseille, il y a le problème de la compartimentation et le fait qu'il y a très peu d'argent.
Nini : Il y a le public des abonnés au théâtre, des gens qui sortent avec une certaine régularité, mais il y a peu de gens qui vont voir ailleurs par simple curiosité. Du coup, on retrouve souvent le même public.
François : Au fond, c'est des choses assez simples, boire un coup, discuter, écouter (ou non) de la musique sans qu'elle nous soit imposée en force.
Le problème, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui restent chez eux, rivés à un écran.
Nini : Les gens vont picoler parce qu'ils ont moins de fric. Au bar, ils savent ce qu'ils ont pour leur argent, alors que quand tu vas voir un spectacle, tu ne sais jamais. T'as qu'à voir les bars, ils sont pleins.


Vous voyez-vous comme des nomades, toujours un pied dehors, entre un atelier à l'autre bout du département et une exploration improvisée ou comme des sédentaires avec Marseille et le Non Lieu comme points d'ancrage ?
Nini : C'est une expérience, on va voir. On espère la mener à bien. Je ne sais pas combien de temps ça va durer. On verra quand ils vont démolir le collège à côté. Mais bon, c'est pas fait hein !

Si vous vous retrouviez sur une île déserte, genre Lapointe d'Hawaï ( nom d'un spectacle-ballet musical et nautique sur Bobby Lapointe créé et joué par Nini et François aux côtés de Joseph Racaille ), qu'est-ce que vous prendriez ?
-comme costume/accessoire

Nini : Bah mon costume de sirène, qu'est ce que je peux prendre d'autre !
-comme souvenir
François : ma photo ?
Nini : C'est pas un souvenir, ça !
Ma tête de Pierrot. J'ai fait du mime, et c'est quand même un personnage très important. Il avait un corps aussi, mais je l'ai emmené en Australie et c'est la où il a perdu son corps ! Il était en chiffon avec une tête en papier mâché. C'est quelque chose qui m'a beaucoup guidé dans tout ce que j'aime dans le théâtre, dans le fait d'être en scène ; ce personnage, c'est très symbolique. J'ai un langage corporel que j'ai acquis à travers ça et qui me reste jusqu'à maintenant.
-comme cocktail de survie
Nini :: Le rosé avec des glaçons, enfin !
François : Une bière belge, pas une en particulier, mais une bière artisanale, un peu amère tu vois.
-comme instrument
François : Je sais que je ne prendrais pas de saxophone, mais comme on est dans le rêve, ce serait sans doute un accordéon.
comme disque
François : Une chanson ou un disque ? Je pense que je prendrai un disque du pianiste Lennie Tristano , en quartet. C'est un concert qui a été donné à Toronto en 56. C'est une époque où on ne faisait pas tellement de live.
C'est venu spontanément. J'ai sauté sur ce qui s'est imposé.
Nini :: Moi je prendrai un disque de Carmen Miranda .
François : Quand tu résonnes vraiment par rapport à l'île, tu te dis : est ce que j'aurais vraiment choisi ça ? C'est quand même un disque très urbain.
Nini : Bobby Lapointe , je suis plus à le chanter qu'à l'écouter. Miranda , elle est portugaise et a toujours des chapeaux incroyables avec des fleurs, des fruits qu'elle faits elle-même. Elle a une voix, une personnalité incroyables.
Et l'instrument, l'accordéon, oui, parce que c'est plus riche qu'un cuivre.
François : La question par rapport au disque, c'est vachement compliqué, parce que c'est vraiment une histoire de contexte, ce qui nous inspire à un moment donné.

La discussion se poursuivra une bonne heure, entre une séance photo à laquelle, mi-joueurs, mi-poseurs, ils se prêtent de bonne grâce et un verre de rosé (avec son bol de glaçons !) au rade du coin, à mi-chemin entre Sidney-en-Barœul et Bruxelles-les-bains.

Le Non-Lieu
67, rue de la Palud,
13006 Marseille
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