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Interview avec General Elektriks

Interview avec General Elektriks en concert

Paris 2 Février 2012

Interview réalisée le 02 février 2012 par Fredc

General Elektriks, c'est avant tout Hervé "RV" Salters, auteur avec ce projet solo de trois albums : Cliquety Kliqk, Good City For Dreamers (dont est extrait le tube Raid The Radio) et récemment Parker Street. Mais General Elektriks, en concert, c'est aussi un vrai groupe, au line-up stable, et considéré par beaucoup comme un des meilleurs de la scène française. A côté, Hervé n'hésite pas non-plus à se mettre au service d'autres artistes, depuis ses débuts comme simple claviériste (notamment de Matthieu Chédid), puis au sein du groupe Vercoquin et aujourd'hui encore aux côtés de Pigeon John (dont il a produit le premier album), du groupe de hip-hop Blackalicious (avec lequel il gravite dans le collectif Quannum, avec DJ Shadow et Lateef entre autres) et de Honeycut. Que des projets américains, puisque Hervé habite depuis une dizaine d'années à côté de San Francisco, ce qui ne l'empêche pas de venir régulièrement abreuver ses fans français, toujours plus nombreux, de ses prouesses scéniques et sonores. Après avoir rempli La Cigale en quelques heures et avant de réserver un sort sans doute comparable au Zénith, Hervé a décidé d'offrir au public parisien une mini-tournée dans la capitale (toutes les infos en bas de cette page). L'occasion pour nous de le rencontrer et de l'interroger longuement sur sa musique et plus particulièrement sur sa vision du live. Et puisque l'animal est bavard, on ne boude pas notre plaisir à la lecture de cette interview-fleuve !



Bonjour Hervé, je suis ravi de te rencontrer enfin, puisque je t'ai vu pas moins de quatre fois en concert en l'espace d'un an et demi, et que c'était toujours mémorable ! Avant de commencer, je te propose de faire la connaissance de ce superbe dictaphone tout pourri de journaliste web...

Attends, figure-toi que c'est exactement avec le même enregistreur mp3 que j'ai fait les voix et les "claps" du morceau Helicopter, dans une cour de récré !

Ah, je le regarderai d'un œil différent la prochaine fois ! Bon, plus sérieusement, puisqu'on est sur Concert & Co, on va parler essentiellement de live dans cette interview, d'autant que c'est un peu ton actu du moment, mais je vais d'abord évacuer une première question sur ta musique. Mon morceau préféré de ta discographie, c'est David Lynch Moment - dont vous faites d'ailleurs une version live assez incroyable - et je trouve justement que l'ambiance générale de tes albums est assez "lynchienne" : ce côté complexe, fouillé, pas toujours très facile d'accès non-plus ; je sais aussi que tu écoutes beaucoup de musiques de films, que tu en as composé, que tu aimerais en composer encore à l'avenir : est-ce que le cinéma a une influence directe sur tes compositions ?

Tout dépend ce que tu appelles "une influence directe" : je ne pense pas être déjà sorti du visionnage d'un film avec une idée de morceau, mais c'est plutôt des atmosphères, des ambiances, des textures, qui vont créer une petite étincelle dans ta tête ou ton cœur et qui vont te lancer sur ce qu'on appelle l'inspiration. L'inspiration, c'est vraiment juste ça : une étincelle qui arrive grâce à l'état dans lequel tu es dans ta tête et grâce à d'autres choses, autour de toi. Après, il faut savoir surfer sur cette vague et en faire de la musique. Mais effectivement, le cinéma fait partie des univers qui m'inspirent. D'ailleurs, il n'y a pas que David Lynch... et outre les images du film, il y a aussi la musique : j'ai beaucoup écouté de Nino Rota, de Lalo Schifrin, de John Barry, des choses comme ça. Ca fait partie de l'espèce de mix que tu vas retrouver sur les disques. Je pense que c'est un bon filtre par lequel voir ça : il y a vraiment un filtre cinématographique dans la musique que je fais.

Est-ce que ça se retrouve dans la composition ? Est-ce que tu as une approche visuelle, presque synesthésique des choses ? Est-ce que, quand tu composes la musique, tu as aussi des images qui te viennent ?

Ca dépend des morceaux : il y en a où je suis plus en circuit fermé musical et d'autres, au contraire, où ça génère soit des images un peu abstraites, soit carrément des mini-scénarios. Mais j'essaye de ne pas rendre ça trop littéral non-plus parce que j'aime bien l'idée que ça soit ouvert à interprétation pour les gens. Toi, par exemple, tu dis que c'est lynchien, d'autres diront peut-être que The Spark, ça rappelle Scorcese (pour rester sur les références cinématographiques). Un morceau comme Helicopter est assez visuel, parce que tu as l'imitation des pales d'hélicoptère sur le Clavinet, c'est plus littéral, mais d'autres vont générer des petits univers, comme La Nuit Des Ephémères ou I'm Ready, sur le dernier album. Ce sont des morceaux peut-être un peu moins clairs dans l'image qu'ils sont censés générer et j'aime bien cette idée qu'ils soient comme des portes ouvertes et que les gens puissent rentrer et y prendre ce qu'ils ont envie d'y prendre.



Ton actualité, on l'a évoqué, c'est le live, avec cette mini-tournée parisienne qui passe notamment par La Maroquinerie, une salle que tu sembles affectionner particulièrement...

J'aime beaucoup la Maroq', effectivement : on y avait fait nos deux premiers concerts parisiens au moment de "Good City For Dreamers" et j'en garde un super souvenir. J'aime beaucoup cette salle pour plusieurs raisons, l'une de ces raisons étant l'atmosphère avant et après le concert, avec la petite cour et le bar, où tu te retrouves à trainer avec le public, c'est vachement sympa.

En plus de la Maroquinerie, il y a aussi la Gaîté Lyrique, le Café de la Danse et le Nouveau Casino... comment est née l'idée de faire cette mini-tournée ? Et comment s'est fait le choix des salles ?

En fait, on vient de faire une Cigale, qui a affiché complet assez vite, donc on s'est dit qu'il faudrait refaire des dates à Paris rapidement - déjà parce que c'est un plaisir de jouer ici et puis parce qu'on voulait satisfaire les gens qui n'avaient pas pu avoir de place pour la Cigale. Et c'est moi qui me suis dit que, plutôt que de refaire une grande salle, façon Cigale ou Olympia, ce serait rigolo de revenir plus en petit club, mais d'en faire plusieurs d'affilée, comme si on investissait Paris et puis qu'on amenait les gens, soir après soir, dans des endroits différents.

Le concert en grande salle offre quelque chose d'un peu différent du concert en petite salle, pour le public comme pour nous. Une petite salle est particulièrement propice à une intimité et à un échange d'énergie extrêmement fort entre la scène et le public, t'as vraiment l'impression de vivre le moment ensemble. Dès que la salle est plus grande, il y a plutôt la sensation qu'il se passe un truc sur scène et un truc dans la salle, mais c'est plus difficile de faire le pont entre les deux. Maintenant, avec la formation que j'ai sur scène depuis plus de deux ans, on est assez à l'aise avec ça, mais il y a quand-même quelque chose d'assez magique dans un lieu comme la Maroquinerie ou le Nouveau Casino (qui est encore plus petit). C'est presque comme une house party, comme si tu jouais chez quelqu'un et que c'était bourré à bloc.

D'ailleurs, un de mes concerts préférés de la tournée de "Good City For Dreamers", c'est un concert dans un bar qu'on a fait un peu pour remonter le moral des organisateurs du festival où on devait jouer. C'était un festival en extérieur dans les Cévennes et le soir, juste avant qu'on monte sur scène, il s'est mis à pleuvoir des cordes, c'était la tempête, tout le monde a fui, le public est parti, il fallait mettre des bâches sur les instruments... et les organisateurs étaient vraiment dépités. On a vu ça et on leur a dit : "trouvez-nous un troquet dans le coin qui est prêt à nous accueillir et on vous fait le concert là-bas". On a fait ça et c'était génial : on ne pouvait pas mettre plus de soixante personnes dedans, c'était plein à craquer, il y avait des gens debout sur les tables, des gens à l'extérieur du bar, qui dansaient sous la pluie. C'était vraiment dingue, c'était un moment magique.



General Elektriks en album, c'est toi tout seul, mais sur scène, c'est un vrai groupe, avec un line-up plutôt stable, composé d'excellents musiciens : est-ce que tu peux raconter la genèse de ce groupe, comment tu as réuni cette dream team autour de toi ?

Ca s'est fait assez naturellement, ce sont tous des copains d'une manière ou d'une autre, que je connais depuis plus ou moins longtemps. Il n'y a que Eric, le guitariste, qui m'a été présenté par Sébastien Martel, avec qui on avait commencé la tournée de "Good City For Dreamers" et qui est un grand copain depuis une vingtaine d'années - on a fait nos armes ensemble dans un groupe qui s'appelait Vercoquin, dans les années 90. J'avais fait appel à lui au début de la tournée et il s'est avéré qu'il avait trop d'autres choses à faire, or moi je voulais être sûr d'avoir une équipe qui allait rester soudée, je voulais construire quelque chose à l'anglaise, un groupe qui fait front, où on est tous ensemble sur scène pour défendre notre musique, je ne voulais pas d'un line-up tournant. Donc Seb nous a présenté Eric, qui s'est super bien fondu dans le reste de l'équipe, et ça a fonctionné tout de suite.

Tous les autres membres, je les connais depuis assez longtemps. Jessie Chaton, je l'avais rencontré parce qu'il était fan de Vercoquin et de vieux claviers, et qu'il m'avait demandé de lui donner des cours de clavier ! C'est un grand fan de funk, de soul, de rock, de plein de choses... On s'est toujours suivi de loin, lui développant son propre groupe, Fancy, et moi déménageant aux Etats-Unis. Et au moment d'attaquer le live, j'ai fait appel à lui pour la basse. Même s'il n'est pas vraiment bassiste à la base, c'est un multi-instrumentiste et c'est quelqu'un qui a une forte sensibilité musicale et qui comprend tout à fait l'esthétique du projet.

Norbert Lucarain, le vibraphoniste-batteur, je l'avais vu au sein du Julien Lourau Groove Gang. Julien Lourau, qui est un saxophoniste de jazz-funk, avait ce groupe dans les années 90, et Norbert faisait du vibraphone avec lui. J'ai fait appel à lui parce que sur "Good City For Dreamers", j'avais commencé à développer des arrangements un peu plus orchestraux sur certains morceaux, des arrangements de cordes et de cuivres, et je voulais qu'on retrouve cette sophistication sur scène, et qu'on ne soit pas juste avec un combo rock ou un combo funk de base. J'ai pensé à Norbert parce que cet instrument, le vibraphone, emmène les gens un peu ailleurs que juste dans le rock. C'est en même temps un instrument classique et un instrument jazz-funk et ça a cette espèce de magie à l'ancienne avec le vieux trémolo qui passe à travers les tubes... ça colle assez avec mon univers sonore, ce que moi je peux bidouiller avec les claviers en mêlant plusieurs sons. Ca nous a permis, sur un morceau comme Little Lady, par exemple, de reprendre l'arrangement de cordes au vibraphone. Et je crois que les gens aiment bien qu'on ne leur donne pas exactement le disque sur scène : on donne une autre vie aux morceaux, on les arrange différemment, on leur fait dire un truc un peu différent. J'aime cette idée qu'il n'y ait pas une sacro-sainte version d'un morceau.

Pour finir : Jordan Dalrymple, qui fait batterie et MPC en live, je l'ai rencontré à San Francisco, où j'habite depuis une dizaine d'années. On s'est rencontré à travers des amis communs, on a joué dans différentes formations ensemble. J'avais déjà fait appel à lui une ou deux fois au moment de la première tournée, celle de "Cliquety Kliqk", et c'était assez naturel pour moi de faire à nouveau appel à lui. C'est quelqu'un qui a un jeu de batterie très souple, assez différent du jeu de Norbert, et j'aime bien l'idée d'avoir deux batteurs avec deux grooves différents. Norbert a un jeu très méticuleux, très précis et Jordan, au contraire, a un jeu souple et organique, inspiré plus de la funk et de la soul des années 60 et 70 ; Norbert est un peu plus 80, 90.



Est-ce que c'est facile de faire jouer des morceaux que tu composes seul par tout un groupe ?

Oui, parce que ce sont des gars très versatiles, qui sont tous multi-instrumentistes et qui ont tous leurs propres projets à côté. Je pense que je n'aurais pas fait appel à eux s'ils n'avaient pas les oreilles ouvertes. Ce sont des gens curieux, ils ont su s'adapter, entendre les morceaux comme il fallait les entendre et voir ce que je cherchais à exprimer avec ces morceaux. Après, c'est moi qui cadre l'ensemble et qui m'assure qu'il en ressorte ce que je veux qu'il en ressorte, mais l'idée est aussi qu'ils apportent leur truc. Mon travail à moi, en tant que chef de file de cette formation live, c'est de tenir les rênes, mais de laisser le cheval galoper. L'esthétique finale, c'est moi qui en décide, mais j'intègre les éléments que chacun amène.

Tu n'as jamais envisagé de faire un album avec eux ?

Le truc, c'est que j'ai des idées très claires sur ce que je veux sur le disque. Enfin, c'est plutôt que je sais quand c'est fini, et je sais ce que j'aime quand je l'ai fait, mais je ne sais pas ce que je vais faire quand je me lance. Pour avoir cette liberté-là et pouvoir se dire : "OK, je saute par la fenêtre, et quand je vais atterrir, ça va bien se passer", il faut avoir confiance, et il faut aussi savoir que ce dans quoi tu vas retomber, c'est ton petit jardin secret à toi. J'aime bien faire ça tout seul, parce que du coup, je peux me perdre en chemin : entre la fenêtre et le jardin, je peux faire le tour de la planète trois fois, me tromper et à la fin, atterrir en douceur. C'est plus compliqué quand tu fais intervenir d'autres gens, parce qu'ils ont chacun leur esthétique, et autant j'aime bien qu'ils l'amènent sur quelque chose que j'ai déjà édifié, autant édifier ensemble, ça me paraît plus compliqué, surtout pour ce projet-ci.

J'aime beaucoup collaborer avec d'autres gens, ce n'est pas ça le problème, mais ce projet a commencé comme ça, comme une espèce de défouloir, avec moi tout seul dans la cave, qui fais exactement ce que j'ai envie de faire, qui me plante si je me plante, oui qui réussis si je réussis. J'aime bien l'idée que sur disque, ça continue de cette manière-là. Maintenant, ce qui serait assez logique, c'est de faire un enregistrement live avec eux, pour qu'il y ait une trace, une galette vers laquelle les gens puissent se retourner après avoir vu le concert et qui ressemblerait plus à ce qu'ils ont vu que les albums, qui ont un univers assez différent, finalement.

Avec toute cette petite troupe, vous êtes considérés comme un des meilleurs groupes de live français, quels sont tes ingrédients pour bien réussir un concert ?

Pour moi, la grande force du live, c'est l'instant, l'imprévu, ce qui peut se passer à ce moment-là, à cet endroit-là, avec ces gens-là, sur scène et dans le public. C'est vraiment un spectacle du présent. Tu le prépares à l'avance, bien-sûr, mais si tu utilises le fait que c'est un instant particulier comme une force, plutôt que de le voir comme quelque chose qu'il faudrait contrôler, plutôt que d'essayer de recréer le même instant soir après soir, alors tu peux créer quelque chose de spécial avec les gens. Bien-sûr, ça ne marche pas tout le temps, ce n'est pas magique tous les soirs, mais c'est un peu ça l'idée. Pour moi, ce qui fait un bon live, c'est l'imprévu, c'est la sensation qu'au sein du public et sur scène, on est en train de vivre un truc spécial, et qu'il n'y aura pas deux fois le même. La manière dont moi je fais ça, c'est en m'assurant qu'il y ait assez de plages d'improvisation, assez de moments où on se met sur la brèche, où on n'est pas sûr de ce qui va se passer, où on se jette et on voit. Il y a des moments très prévus, très arrangés, et d'autres moments plus ouverts.



Est-ce qu'il faut être un grand amateur de concerts en tant que spectateur pour devenir un bon musicien sur scène ?

Ca, j'en sais rien... C'est marrant parce que moi, quand je suis dans le public, je ne suis pas du genre à participer, je suis plutôt à rester derrière. Or, ce que j'apprécie particulièrement avec notre public, c'est qu'il participe vraiment : beaucoup de gens dansent, beaucoup de gens chantent, ils appellent des choses autant qu'on leur en donne. Tout ce que je sais, en tout cas, c'est que quand moi je vais voir un live, ce que j'attends, ce n'est pas le disque, c'est quelque chose d'autre, donc c'est ce que j'essaye de donner au public quand je suis sur scène.

Est-ce que tu vois beaucoup de concerts ?

J'en vois moins qu'à un moment, mais j'aimerais bien en voir plus, tout simplement parce que souvent, tu chopes de bonnes idées. Moi, ça m'inspire de voir d'autres gens ; je ne suis pas jaloux si je vois un truc super bien qui me fout une claque, au contraire, ça me motive. En fait, j'en vois quand on a l'occasion de jouer dans des festivals, ce qui arrive assez souvent, surtout l'été. Mais la dernière fois que j'ai acheté un ticket pour aller voir un concert, ça remonte à assez loin : c'était Stevie Wonder à San Francisco, il y a trois ans. C'était fantastique : j'ai pleuré à grosses larmes pendant une heure et demie, c'était incroyable. J'aimerais bien y aller plus souvent, mais je n'ai plus tellement le temps, et c'est triste, parce que si je suis là, c'est parce que je suis passionné de musique.

Tu as à la fois un son très identifiable - notamment le Clavinet et cette basse très profonde, très large - et puis un jeu de scène assez unique, très reconnaissable - je ne vais pas être la cent-soixante-douzième personne à te demander le secret de ton jeu de jambes - alors c'est évidemment une bonne chose parce que ça crée une sorte d'image de marque, mais est-ce qu'en même temps, tu ne crains pas de finir par tourner en rond, par te répéter ? Comment envisages-tu le renouvellement ?

J'essaye de ne pas trop me poser de questions, en fait. Toutes les choses dont tu parles sont venues naturellement, ce ne sont pas des choses que j'ai travaillées. Si j'avais travaillé ce jeu de scène, il serait sans doute plus varié ; j'ai l'impression de tourner toujours autour des mêmes mouvements, mais c'est ceux qui me viennent. Je pense que le tout est de faire en sorte que ce soit naturel et frais pour toi. A partir du moment où c'est le cas, il y a plus de chances que ça le soit pour les gens dans le public. Quand je sentirai que ce n'est plus frais pour moi, si je me lève un jour le matin en me disant que je n'ai plus envie de faire cette musique, que je n'ai pas envie de faire ce concert, alors j'arrêterai. Mais je ne vais pas chercher exprès à me renouveler, en tout cas pas de manière consciente.

En même temps, quand j'ai attaqué "Parker Street", je n'ai pas pu m'empêcher de me dire : "Bon, qu'est-ce que je fais ? Il s'est passé un truc avec ‘Good City For Dreamers', le public attend quelque chose, qu'est-ce que je leur donne ?", mais j'ai très vite chassé ces pensées et j'ai fait exprès de ne pas écouter "Good City". De toute façon, il va me falloir du temps pour pouvoir écouter ce disque sans voir toutes les sessions Pro Tools et tout ce que j'ai fabriqué pour faire en sorte que ça devienne des morceaux. Je crois que c'est ça le meilleur moyen de ne pas te répéter : ne pas t'écouter toi-même et juste aller de l'avant, garder les oreilles ouvertes et saisir l'inspiration quand elle vient plutôt que d'essayer de la déclencher.



Tu as commencé en étant instrumentiste pour d'autres artistes - on cite en général Matthieu Chédid, je ne sais d'ailleurs pas si tu as vraiment tourné avec lui...

Si, mais c'était il y a très longtemps, avant qu'il s'appelle "M", c'était le Matthieu Chédid Band. En fait, on vient de la même scène : dans les années 90, on trainait avec les mêmes gens et on jouait dans les mêmes endroits, là où la scène funk parisienne se rendait. On s'est toujours un peu retrouvé par la suite, mais je n'ai pas fait de tournée avec lui en tant qu'instrumentiste depuis qu'il est "M". Par contre, on a fait des premières parties pour lui avec General Elektriks, et puis j'ai joué sur son premier disque.

Est-ce qu'aujourd'hui, tu pourrais encore te mettre comme ça au service d'un autre artiste ?

Je le fais ! Par exemple, jouer avec Blackalicious aux Etats-Unis, c'est quelque chose que j'ai fait après le premier album de General Elektriks, "Cliquety Kliqk", et c'était un soulagement d'être derrière les claviers et d'apporter quelque chose à l'esthétique générale de l'ensemble, mais sans en être le point central.

Là, j'ai coréalisé et produit l'album d'un rappeur de Los Angeles qui s'appelle Pigeon John, et je commence à travailler sur son nouveau disque. J'aime beaucoup ce qu'il fait et j'aime l'idée de collaborer avec lui. En fait, pour moi, pendant longtemps, la collaboration était la règle ; l'idée de General Elektriks, de faire quelque chose qui devienne un projet solo, c'est une espèce d'exception, qui m'est arrivée plus que je ne l'ai fait arriver. Et il y a un effet pingpong entre les deux : quand je fais du General Elektriks, je suis content pendant un certain temps, et puis au bout d'un moment, je me dis que ce serait bien de faire un petit peu quelque chose avec quelqu'un d'autre, et donc je vais bosser avec Blackalicious, avec Honeycut, avec Pigeon John. Et après, je reviens à General Elektriks. C'est assez sain, je crois, parce que du coup, ça me permet juste d'être heureux de revenir à "GE" quand j'y reviens et de ne pas rentrer dedans comme si c'était une logique économique. J'y reviens quand je suis inspiré.

Si tu pouvais choisir un artiste, vivant ou mort, que tu pourrais accompagner sur scène ?

Il y en a des tonnes, mais dans le genre rêve total, évidemment Stevie Wonder, David Bowie... et D'Angelo dans les artistes récents - enfin, ça fait dix ans qu'il a rien sorti, mais à l'époque de "Voodoo", c'était un maître, deuxième génération de grands maîtres soul, et jouer du clavier avec un mec pareil, ça m'aurait bien fait triper.



Avec tous les miles que tu as du accumuler à force de faire des allers-retours entre Paris et San Francisco, dans quel pays partirais-tu jouer où tu n'as encore jamais mis les pieds ?

En fait, j'ai eu la chance de jouer dans pas mal d'endroits, mais il y a des endroits où je suis allé avec Blackalicious et où j'aimerais retourner avec General Elektriks, comme l'Australie, où t'es super bien accueilli et où il y a des chouettes clubs. Sinon, je n'ai jamais joué en Afrique. J'y suis allé en tant que touriste, mais je n'y ai jamais joué et j'adorerais le faire. On a fini la tournée de "Good City For Dreamers" au Brésil et c'était fantastique ; on est aussi allé en Russie, à Saint-Pétersbourg et à Moscou et voir des Russes chanter Raid The Radio, c'était assez tripant.

S'il y avait une salle, un festival et un lieu incongru dans le monde où tu aimerais jouer...

Il y a un lieu qui correspond à tout ce que tu as décris, qui s'appelle "The Gorge", dans l'Etat de Washington, à deux ou trois heures à l'est de Seattle. C'est un canyon qui est installé pour des concerts ; j'y ai vu Radiohead. Et j'y ai joué avec Blackalicious : je faisais les claviers, on ouvrait pour les Beastie Boys et pour Björk, figure-toi ! C'est un lieu absolument fantastique : le public est assis sur une grande colline, où tu mets jusqu'à vingt-mille personnes, et en bas de la colline, il y a une falaise, et juste devant la falaise, il y a la scène. Quand j'ai vu Radiohead, c'était un soir, c'était lumineux, c'était très beau, avec une espèce de lune violette derrière... t'imagines même pas, la musique de ces gars-là dans un environnement comme ça, c'était fantastique.

Pour finir, trois questions un peu plus légères : après avoir vu dans quel état tu finis après chaque concert, est-ce que ton budget chemises et blanchisserie ne dépasse pas ton budget claviers ?

[Rires] Bonne question, d'ailleurs je ne fais pas assez gaffe à mes chemises, elles sont très esquintées !

D'où vient cette tenue de scène ?

Encore une fois, c'est un truc qui est arrivé naturellement et par hasard : je faisais les claviers avec les Mighty Underdogs - qui est un groupe de hip hop rattaché au collectif Quannum, avec lequel je traîne quand je suis à San Francisco, avec Blackalicious, DJ Shadow etc. - et on faisait un concert à Paris, au New Morning. Le disque "Good City For Dreamers" allait sortir un mois plus tard et il fallait des photos de presse pour General Elektriks. Donc pendant les balances des Mighty Underdogs au New Morning, il y a l'attachée de presse de Discograph et un photographe qui sont venus, et moi j'avais amené des fringues pour jouer dans un groupe de hip hop : la chemisette à carreaux avec la cravate, les stylos dans la poche, façon agent du FBI, un peu le look des Beastie Boys au moment de Root Down. Ils ont pris deux-trois photos comme ça et c'est devenu le look de General Elektriks, un peu par défaut. Quand on a fait de la scène, je ne voulais pas que ce soit complètement désuni au niveau look, donc j'ai envoyé cette photo aux futurs membres du groupe, avec aussi une photo de Gene Hackman dans "French Connection", je leur disais : "la base, c'est ça". Mais j'aime bien le fait de ne pas y avoir réfléchi et que ce ne soit pas du branding.



Si t'avais réfléchi, tu n'aurais peut-être pas choisi ça, d'ailleurs, parce que ça doit être affreux de jouer pendant une heure et demie avec une cravate serrée... je me suis toujours demandé comment tu faisais !

[Rires]

Plus sérieusement, tu as donné énormément d'interviews, mais est-ce qu'il y a une question qu'on ne t'a jamais posée et à laquelle tu aurais aimé répondre ?

En France, on me pose très rarement des questions sur les textes, parce qu'ils sont en anglais. Je comprends ça, mais pour moi, ça fait vraiment partie de ce que je fais, puisque j'écris les textes moi-même et qu'il y a un vrai narratif dans ce que je fais, même s'il est un petit peu abstrait parfois, puisque je laisse une porte ouverte à l'interprétation, comme pour la musique. Il y a un jeu qui se fait entre la musique et les textes : certains morceaux peuvent sembler un peu sombres, mais il y a un espoir dans le texte qui fait que ça contrebalance ; ou vice versa, quelque chose qui semble très léger, comme Summer Is Here, et quand t'écoutes le texte, c'est pas si léger que ça. Mais je crois que ça échappe à beaucoup de gens dans le public français.

Pour finir, j'aimerais bien que mon interview arrive en tête des recherches Google, alors est-ce que tu as une fausse rumeur à balancer sur toi ?

J'ai une vraie rumeur : c'est le déchirement du ménisque auquel j'ai eu droit sur scène en dansant un peu trop fort. C'était au Cargo de Nuit à Arles, une chouette salle, tenue par des gens charmants, mais qui sont eu l'idée de mettre un tapis sur scène, plutôt qu'un revêtement sur lequel tu peux danser. Je commence le concert avec mon espèce de pas de danse et là mon pied s'arrête net dans la moquette. J'ai senti qu'il s'était passé un truc pas bien, j'ai quand-même fini le concert - show must go on - mais j'ai annoncé aux gens que j'allais pas pouvoir danser. J'ai fini la tournée avec des béquilles et, de retour aux Etats-Unis, j'ai subi une opération. Se déchirer le ménisque, c'est pas des choses qui arrivent tous les jours à des claviéristes !

C'est sûr ! Merci beaucoup de nous avoir consacré tout ce temps !

Merci à toi !




Un immense merci à Hervé pour tout le temps qu'il nous a accordé, pour sa gentillesse et pour sa disponibilité.

Merci également à Xavier, chez Attitude, pour avoir permis à cette interview de se réaliser.

Merci enfin à Jennifer, du temps où elle était chez Discograph.


Retrouvez General Elektriks lors de leur mini-tournée parisienne, avec des guests prestigieux :

08/02/2012 : GE + Lateef au Café De La Danse
09/02/2012 : GE + Yael Naïm à La Maroquinerie
10/02/2012 : GE + Matthieu Chédid à La Gaîté Lyrique
12/02/2012 : GE + Vincent Ségal au Nouveau Casino

General Elektriks sera aussi en tournée dans toute la France ces prochains mois, passant notamment par les festivals Chorus des Hauts-de-Seine, Printemps de Bourges et Francofolies de La Rochelle. Et n'oubliez le rendez-vous du 14/11/2012 au Zénith de Paris !

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