Accueil Chronique album : Nicolas Ungemuth (Rock'n'Folk) - GarageLand / Livre, par Philippe
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Critique d'album

Nicolas Ungemuth (Rock'n'Folk) : "GarageLand / Livre"

Nicolas Ungemuth (Rock'n'Folk) :

Pop - Rock

Critique écrite le 04 août 2009 par Philippe

Dans la critique rock, s'il y a une institution respectable (mis à part l'extraordinaire Concertandco, of course !), c'est bien Rock'n'Folk, journal qui fait la pluie et le beau temps en la matière, que les rockeurs provinciaux adorent détester sous prétexte (souvent avéré) de copinage et de parisianisme - tout en fondant de bonheur et de fierté quand le journal leur consacre quelques lignes... Cela étant il y a dans le journal une signature qui fait à peu près l'unanimité, sinon pour ses goûts, au moins pour son humour, son style ravageur et flamboyant, celle du grand Nicolas Ungemuth. Bon autant vous le dire tout de suite, il a un nom marrant mais un défaut majeur : il pense qu'à peu près rien de bon n'a été enregistré en musique depuis l'arrivée du punk en 1977. Comprenez, depuis avant l'arrivée du punk...

Certes c'est probablement un peu exagéré. Mais cela lui a permis d'écrire son oeuvre fondatrice, celle qui lui a valu la haine des 2/3 des lecteurs du magazine et notre admiration éternelle : R'n'F n° 436, décembre 2003 : Les 40 pires groupes de tous les temps ! Soit une litanie tirant certes sur quelques ambulances (Genesis, Supertramp, Eurythmics, Toto) mais défonçant surtout joyeusement des mythes supposés intouchables (Pink Floyd, U2, Police, Dire Straits), avec des formules à l'emporte-pièce et à hurler de rire, parfois ce qu'on avait toujours ressenti sans jamais oser le formuler, même en pensée. Je ne peux pas ne pas citer au moins un exemple extrême : La laideur absolue se concentre dans un groupe unique , Queen : sa Castafiore moustachue, son guitariste en sabots, ses morceaux imbéciles (...), il n'y a pas une miette à sauver dans une discographie pompière, proprement et totalement affligeante. Tout est là : drôlerie, arrogance, mauvaise foi, profanation et en même temps, un cri primal jouissif et briseur de tabou. Et c'est un fait, nous ne conchierions pas si passionnément Oasis, Coldplay, The Do, James Blunt, Pete Doherty, ou même (ha, ha) Grégoire et les (aargh) Naive New Beaters, si l'Ungemuth ne nous avait pas montré la voie.

Et puis notre héros, souvent horripilant (y'a qu'à voir sa tronche...) mais toujours incisif, cultive ardemment sa (mauvaise) foi assumée, aussi bien en glorifiant certaines rééditions anciennes, qu'en consacrant chaque mois une page à un groupe des 60's : ce livre est la compilation de ces chroniques ! L'auteur y couvrant les styles garage, mod, freak, merseybeat, R&B et pop - autrement dit pour simplifier, les deux côtés de l'Atlantique, noirs et blancs confondus - en quelques 80 groupes. Avec une passion digne de notre maître à tous, Lester Bangs, il remet en perspective l'influence déterminante de certains groupes dits "mineurs", prouvant par exemple et titres à l'appui (attention, votre plate-forme de téléchargement habituelle va chauffer) ce que certains soupçonnaient déjà : que les Kinks, Small Faces & Pretty Things furent peut-être plus décisifs et repris par la suite que les Beatles, Rolling Stones & Who. Ce n'est pas les Franz Ferdinand, Rakes, Arctic Monkeys et autres Bishops qui diront le contraire... Autre confirmation, que des gens biens comme David Bowie ou Robert Plant ont fait de la merde dans leur jeunesse, et plus surprenant, que certains groupes qu'on pensait ignobles ont été bons avant les 70's, comme (croyez-moi sur parole, j'ai vérifié)... les Bee Gees !

Et puis bien sûr, on ne se refait pas : avec une méchanceté drôle et tout aussi digne du grand Lester, Nicolas Ungemuth déterre pour le plaisir un certain nombre de losers, et pas forcément tous magnifiques, disparus sans laisser d'adresse, aux noms ridicules et aux coupes de cheveux rétrospectivement atroces : Kaleidoscope dont les membres furent les plus laids qu'on ait jamais vus (au fait, les pochettes de disque illustrant les groupes de l'époque "veste à carreaux carnaby street / brushing rotatif pour tout le monde" sont souvent à se pisser dessus), Brian Auger que je prenais pour le pape de l'orgue Hammond, qualifié de brute épaisse au faciès néanderthalien, les pas si pire The Seeds (dont le pauvre leader Sky Saxon est mort le même jour que Michael qui-vous-savez, peut-être bien d'une crise d'apoplexie en lisant ce livre d'ailleurs), qualifiés de mongoliens bas du front, les Moody Blues (pourtant auteurs de la sublime Nights in white Satin) classés comme absolument, totalement ridicules... Et encore on n'a cité ici que les plus connus, la liste est trop longue de combos risibles et pathétiques, dont il essaye quand même à chaque fois, de sauver un titre "mythique", dans les deux sens du terme, afin qu'on puisse soit leur donner leur chance par delà le temps, soit rire encore une fois d'eux... et même avec eux : certains artistes ont tout oublié (ou refoulé) depuis : Si vous vous rappelez des 60's, c'est que vous ne les avez pas vécues ! dit l'adage stonien célèbre...

Bref, chaque page est une petite histoire, traité anatomique d'un groupe, et le tout forme la grande histoire de la musique, bonne et mauvaise, des 60's, effectivement une décennie prolifique au delà du concevable où furent signées des chansons absolument grandioses et d'une élégance rarement égalée depuis. Et c'est assez passionnant à lire, quelle que soit votre connaissance (souvent nulle a priori, à moins que vous ne soyez spécialiste) des groupes cités. A ce propos, voir aussi le très bon et furieusement rock'n'roll film Good Morning England - The Boat that Rocked, dont la BOF d'une classe foudroyante couvre assez largement les meilleurs groupes vantés ici : Philip Seymour Hoffman y accepte de donner sa vie pour passer une dernière fois à ses auditeurs, sur un bateau en train de couler, l'un des plus beaux slows de tous les temps, A Whiter Shade of Pale. De Procol Harum évidemment - leur chanteur est qualifié ici de Rod Stewart catalepsique et leur organiste d'incontinent, et leur photo est vraiment très drôle. Allez vite la voir, avec les 79 autres pochettes de GarageLand, et redécouvrir des dizaines de trésors enfouis, de kitsch comme de classe - idéal pour la plage !
(Hoëbeke, 2009)
Vignette Philippe

 Critique écrite le 04 août 2009 par Philippe
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