Accueil Chronique de concert Tank, Don Vito, Shoogooshoeslide
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Chronique de Concert

Tank, Don Vito, Shoogooshoeslide

La girafe, Reims 16 janvier 2007

Critique écrite le par

Attention jeunesse ! Je vais sortir les superlatifs. Enorme, merveilleux, généreux, splendide. Et en même temps, horrible, crétin, dégoûtant, alcoolique.
Du bruit, du bruit, du bruit. Plus des confettis, plus des bouchons d'oreille, plus des crachats de bière, plus des Allemands, plus du skate-core, plus de la variété ringarde, plus de longs cheveux noirs, plus des épinards, plus un coup de poing dans ma gueule.
J'ai un sourire extatique à l'idée de tous ces merveilleux moments que j'ai vécu lors de cette soirée. Sans ironie aucune.
Des moments qu'il serait impossible de passer dans une salle de concert conventionnelle.



La Girafe est un squat. Rue Hamelin, dans les Docks Rémois, juste à côté du collège Maryse Bastié, charmant établissement où l'on pratique le jeu des "couilles au poteau".
Occupée par une bande d'utopistes depuis la fin du mois d'août, la Girafe est menacée d'expulsion. La date officielle est le 26 janvier. L'association obtiendra probablement un délai.
Mais à terme, la Girafe est condamnée. Les locaux sont propriétés de la mairie qui y a de grands projets. Elle voudrait y transférer les studios d'enregistrement Césaré, sis en centre-ville, rue Hincmar.
Auparavant connu sous le nom de la Girafe bleue, le squat actuel abritait des locaux de répétition. Puis, la Cartonnerie est sortie de terre, à quelques centaines de mètres de là. La Cartonnerie c'est très grand. La mairie a alors décidé d'y transférer les salles de répétition. Un collectif est apparu pour dire non et demander à conserver la jouissance du lieu et y continuer sa petite vie de musiciens amateurs.
Ce fut un échec.
Nouvel échec en vue avec l'expulsion prochaine, mais en attendant, c'est la grande déconnade.

Tank est un trio de bons crétins comme je les aime. Ils s'étaient déjà signalés, le 15 décembre, par un concert mémorable dans les toilettes de la MJC Le Flambeau en compagnie de leurs frères des 12225 Chacals. Du bruit, des cris, des vibrations, de la bonne rigolade.



"Tant que tout le monde n'aura pas mis ses bouchons, on ne joue pas", on reste sur les mêmes bases à la Girafe. Ils se sont installés dans un coin de la petite salle du bar. Le trio se compose de deux Auréliens, un à la batterie et un autre à la basse, puis d'un JC à la guitare et à la plupart des effets vocaux. JC lance les hostilités par un peu d'ironie dada : "Merci à la Cartonnerie, merci à Rodolphe Rouchaussé (son programmateur), merci à Gerald Chabaud (son directeur), merci à Mario Rossi (l'adjoint à la culture)".
Assez étrange, cette déclaration. On pourrait l'interpréter comme une revanche face à des acteurs qui empêchent ce genre de musique de s'exprimer. Or, la Cartonnerie est tout sauf le temple d'une culture officielle, marchande, suffisante et sans passion. Rodolphe Rouchaussé a proposé à Tank de venir y jouer.
Ceux-ci et ainsi que d'autres groupes ont refusé. Par défiance. Par refus de collaborer avec l'establishment. Par romantisme aussi.
A vrai dire, c'est assez compliqué et seul un Rémois, très introduit dans le milieu underground local pourrait démêler les fils de cette querelle.



Je m'éloigne du sujet. Tank n'est pas un groupe politique. C'est un groupe crétin. Souriant et bruyant. Ils nous ont offert une belle palette de vibrations et de cris qui n'avaient pour seul dénominateur commun que le seul plaisir de faire du bruit, sans la prétention de faire de l'art, ni même de la musique. Le genre de groupe qui s'imagine sous la douche, le pommeau en main et le souvenir de Kiss ravivé à grands jets d'eau glacée. Pour que la fête soit plus folle, Tank n'avaient pas de Champomi, mais des confettis, des serpentins, des bombes de machins gluants, ainsi qu'un peu de pyrotechnie.




C'était mignon tout plein. Nous baignions dans le n'importe quoi. J'adore ça, le n'importe quoi, autant que la bière. D'ailleurs, au comptoir, il y en avait deux merveilleuses. La Poiluchette et la Satan. Et c'est vrai, à la Cartonnerie, ils n'en ont pas des comme ça. J'avais déjà remarqué, une autre fois, de la Binchoise, une très bonne bière blanche. J'ai voulu me renseigner sur l'identité de la personne chargée du ravitaillement. Pour la féliciter et lui transmettre mes amitiés houblonnées. On ne voulut pas me répondre. En ces lieux, il règne toujours une "petite" dose de parano, surtout si vous vous présentez comme journaliste. Une sale race parasite. Et pourtant qu'est-ce que ce serait bien de venir faire un reportage sur ce lieu. Raconter cette folle ambiance de liberté. Faire découvrir des musiciens comme les Allemands de Don Vito qui sillonnent l'Europe pour pas un kopeck.




J'ai loupé le début de leur set. Ils étaient dans la grande pièce. Au milieu. On pouvait tourner autour d'eux pendant qu'ils jouaient leur hardcore. Dans l'esprit, leur musique n'est pas très éloignée de Tank. Eux aussi ne sont que trois. Susi, Heicko et Christian. Ca joue vite. Je crois me souvenir que c'était surtout instrumental, avec quelques éruptions vocales, comme Tank, mais plus techniques, plus sérieux. Les morceaux étaient courts, très intenses. C'était fort avec tous ces confettis à leurs pieds.



On aurait pu s'arrêter là et ça aurait déjà été très bien. J'avais déjà largement ma dose de bière et de décibels. Mais, il y avait un troisième groupe au programme. Shoogooshoeslide. J'ai cru que c'était un jeune groupe de gamins fans de NOFX. En fait, c'est un vieux groupe de grands gamins fans de NOFX. Et aussi de Green Day, Pennywise, The Offspring. Du bubblepunk ou du skate-core, selon votre penchant pour le chewing-gum ou bien les vidéos de planches à roulettes. Eux-mêmes revendiquent l'appellation de trottinette-core. Et ma foi, c'est assez juste. Ca dépote, mais gentiment. Deux guitares, une basse, un batteur. Les trois gratteurs se relaient au micro pour des harmonies dignes de leurs modèles californiens, avec les mêmes intonations juvéniles. Du très bon travail.



C'était trop beau. Le JC des Tank, aidé de son frère, guitariste des Chacals, décida alors de donner un peu de relief à la performance des Shoogooshoeslide, en leur crachant très méthodiquement de la bière à la figure. Ils sont amis. C'était pour rire. Pour la poilade.
Ca m'a rappelé des souvenirs du collège. Avec mon voisin de table, on se lançait des défis de lecture. A chaque fois, que notre professeur d'histoire demandait un élève pour lire un chapitre du manuel, nous nous portions volontaire, Frédéric et moi. Frédéric Zbar. Un bon garçon. Gloire à lui ! Une fois l'un de nous deux choisi, l'autre se chargeait alors de le troubler dans sa lecture, en le chatouillant, en le pinçant, en lui grattant les couilles (je ne suis jamais allé plus loin dans l'homosexualité).
Je me souviens que je n'étais pas trop mauvais à ce jeu là. Valait mieux, sinon c'était colère indignée de notre professeur, avec son lot de punitions, d'heures de colle.



La bière aussi, ça colle.
Je veux profiter de cet espace pour publiquement exprimer mon admiration pour chacun des membres des Shoogooshoeslide qui tous ensemble ont tenu bon devant les assauts répétés des frères Payart. Sous un déluge de bière et de salive, ils parvinrent à maintenir le rythme et l'unité de leur groupe. Le monde doit savoir : bravo à vous. Vous fûtes héroïques. Les Sex Pistols peuvent aller se chatouiller l'épingle à nourrice.



On aurait pu s'arrêter là et ça aurait été très bien. J'avais plus que bu et rigolé. Mais pourquoi, merde, s'arrêter. On est jeunes non ?
A la Girafe, il ne sera pas dit qu'on ferme boutique dès la dernière note jouée. Ce n'est pas l'esprit du lieu. Dans un coin, il y a une platine pour passer des disques. Dans un autre coin, il y avait des disques. Et quels disques ! Eric Charden, Frédéric François, Cyndi Lauper, de glorieux morceaux de vinyles, précieuses reliques du temps des hits parades et du Top 50. On le célébra le patrimoine. Oui, il fut célébré. Par de merveilleux enchaînements. Tout en délicatesse et retenue.
Des épinards passèrent par là. Ils volèrent. Ils se répandirent. Sur les corps et les visages des officiants et de l'assemblée confondus. Un grand moment de communion.



On aurait pu s'arrêter là et ça aurait été très bien. J'avais vraiment bien bu, et vraiment bien rigolé. Mais pourquoi, merde, s'arrêter là. Je suis un petit fou moi. Je ne peux pas m'arrêter en chemin comme ça. Il faut aller jusqu'au bout.
Alors, j'ouvris ma bouche. Oui, vint un moment, où j'ouvris ma bouche et je parlai. Rigolons, rigolons ! Je ne sais plus ce que j'ai dit. C'est venu comme ça. L'inspiration ! Ca ne se commande pas. L'Eternel parle en nous et nous confie ses mots, son message, d'amour et de paix.
Mon frère Mike (pas du tout le gars en photo)ressentit, lui aussi, toute la force de ce message venu de l'au-delà. Ses oreilles stimulées, il vint alors droit vers moi pour m'imprimer de son poing tout cet amour sur mon visage. Quel geste a-t-il fait là ! Gloire à lui !

Cela faisait des heures que ma mâchoire était sous l'effet d'un anesthésiant. J'étais retourné chez ma dentiste pour qu'elle me nettoie la bouche de ses caries. Et depuis ma sortie de son cabinet, j'avais la moitié de la bouche paralysée. Pas facile pour boire. J'étais obligé de faire des grimaces pas possibles pour faire passer le liquide.
Le coup de poing de Mike réveilla toute cette partie endormie. Je pouvais sourire à nouveau. Un vrai thaumaturge. J'en fus bien content. Mais je ne pus remercier mon sauveur. Epuisé par son miracle, ses assistants vinrent l'éloigner de ma vue afin qu'ils reprennent ses esprits.

Une bien bonne soirée. Je reviendrai. Longue vie à la Girafe !


Je tiens à préciser que s'il y eut des confettis, de la bière, des épinards répandus dans tous les sens. Les petits gars de la Girafe n'en ont pas moins un sens aigu de la propreté. Ils ont des balais, des éponges. Et ils se mirent à nettoyer sans attendre la fin des festivités. On peut être squatteur et très bien tenir son squat.



 Critique écrite le 18 janvier 2007 par Bertrand Lasseguette