Accueil Chronique de concert Tô, Lisa Li-Lund
Vendredi 29 mars 2024 : 6573 concerts, 27065 chroniques de concert, 5409 critiques d'album.

Chronique de Concert

Tô, Lisa Li-Lund

Centre culturel Saint-Exupéry, Reims 14 octobre 2006

Critique écrite le par

On pourrait croire que cela devient une obsession. C'est la troisième fois en un mois que je vais voir Lisa Li-Lund. La précédente, c'était il y a tout juste une semaine, à Tourcoing, pour la fabuleuse Nuit du folk et du songwriting. La toute première, c'était au Point éphémère de Paris. J'avais eu alors la surprise et la chance de découvrir Tahiti boy and the palmtree family. Cette fois, à Reims, c'est un peu pareil, une nouvelle dose de douceur ET une nouvelle découverte. Je viens pour Lisa et je tombe en plus sur quelque chose d'extraordinaire en route.

L'extraordinaire, c'est d'abord le lieu, le centre culturel Saint-Exupéry. Je connaissais. J'y étais même déjà allé, mais je ne m'attendais pas à y voir toutes ces choses étranges et charmantes.
Jusqu'au 25 octobre, le centre abrite la troisième édition d'un festival intitulé Chemins numériques. Et dans ce cadre, il y a une exposition de choses bizarres, telles que l'art contemporain en invente régulièrement. On appelle ça des installations. Il y en a dans tous les coins de Saint-Exupéry. A côté des toilettes, ces ordinateurs, c'en est, dans cette pièce, tous ces objets posés sur des tables, c'est une installation, derrière cette porte, là, ce mur recouvert par ces vagues, c'est une installation aussi. Quand vous vous approchez du mur, les vagues se figent. Oui. C'est fait exprès. Regardez au sol, il y a un capteur. C'est lui qui sent vos pas s'approcher et donne alors l'ordre aux flots d'interrompre leur va et vient. C'est mignon non ?
Moi, mon installation préférée, elle est dans cette pièce là-bas. Oui, on peut entrer. N'ayez pas peur du noir. Vous verrez il y a de la lumière ensuite. Contre un mur, encore, des images. Noir et blanc. En négatif. Une forêt en pleine nuit. Vous entendez ces bruits. Bizarres. Cela ne ressemble à rien. De connu. Et puis, il y a ces silhouettes. Des formes humaines. Elles apparaissent puis disparaissent. On dirait une famille. Une famille d'assassins nyctalopes. Hum, non, ça c'est votre imagination... Vu la mise en scène, on peut comprendre ce genre d'extrapolation. Et toujours, ces sifflements aigus. Des oiseaux peut-être ? Il en apparaît une colonie sur le mur, à l'un des bouts de la boucle vidéo. Après le passage d'un camion. Oui, un camion. Les oiseaux se tiennent sur des fils. Vivant leur vie, comme s'ils ne nous voyaient pas.
Cette installation s'intitule Soundstruck-studio. Elle est signée Cécile Le Talec et s'inscrit dans un projet plus large qui verra un camion-sirène circuler sur les routes de la forêt de Verzy et du lac du Der. S'il s'agit des mêmes sifflements, on peut déjà annoncer une vague de suicides dans ces régions.

Les sons de ne sont pas très éloignés des sifflements de Cécile Le Talec. Ca crisse. Ca fait mal aux oreilles. Mais on est ici plus franchement dans de la musique. Il y a un interprète, des instruments, un public, ce n'est plus une installation, mais un concert. Un concert particulier.



Les instruments de Tô, alias Thomas Tilly sont une caisse en bois, des cailloux, une manivelle, un disque recouvert de sable posé sur une platine en argile, une table de mixage et un ordinateur. Des micros complètent le tableau. Pour amplifier le moindre tressaillement de la matière. On entend donc des grincements, des parasites, des bourdonnements. Il n'y a aucun rythme ou tentative d'en créer un. Ca pourrait être très ennuyeux. On pourrait tout aussi bien être dans un hôpital psychiatrique. C'est beau. La concentration de Tô, son visage anguleux qui rappelle l'acteur Laurent Lucas (Harry,un ami qui vous veut du bien), ses pieds nus, son tee-shirt sans col, son dos voûté qui oscille d'avant en arrière transforment le bruit produit en un geste esthétique. Quand ça se termine, il se lève, s'écarte, se gratte la tête, esquisse un geste du bras : "Voilà".

Avant Lisa, il y avait encore une surprise, au sous-sol. Fabien Joubert, un comédien lit un extrait des Racines du mal, un roman de Maurice G. Dantec.



"Une différence de taille entre les neuromatrices et nous (....) Quand je suis sorti de ma douche, le docteur Schizo était en plein travail. (...) Je peux passer en mode monorhizomique et lui laisser le champ libre." Ce sont quelques mots que j'ai noté au passage. Il s'agit d'un roman policier. Le héros Darquandier poursuit des tueurs qui sévissent en plusieurs endroits de la France. Pour l'aider, il a Svetlana, son amie et une machine, la neuromatrice qui, entre autres prouesses, peut simuler les pensées d'un criminel.
Pendant cette lecture des Racines du mal, on pouvait voir des plantes virtuelles pousser le long des parois de l'immense mur derrière Fabien Joubert. Un cycle infini d'apparition et de disparition de végétaux multicolores. Cette animation est l'œuvre de Miguel Chevalier. Il aurait mis quatre années à la concevoir.
Certains chanteurs peuvent rester des années un titre. Il ne semble pas que ce soit le cas de Lisa Li-Lund. Lisa appartient à la même planète folk que ces frères, André et David-Ivar, du groupe Herman Düne. Une planète où les mélodies poussent comme des fleurs sauvages et les couplets tombent des arbres quand on vient profiter de leur ombre.



Lisa a une très jolie, jolie voix. Il est très difficile de résister à ce philtre magique. De plus, Lisa sait aussi s'y prendre pour cueillir des mélodies et glaner des couplets. Au début de l'année, un album est paru, son premier officiel, Li-Lund ran away. Avant cela, il y avait déjà eu Li-Lund, avec Néman, le batteur d'Herman Düne. Ils ont enregistré artisanalement quelques Cd-R. J'en ai un avec 23 chansons et c'est très riche.
Ce soir, on retrouve Lisa dans la pièce où on avait laissé Tô et son attirail. Elle est seule entre un synthétiseur et une guitare. Elle navigue ainsi entre les chansons de son album, Matzo-balls all over the floor, Your shoulder, composées à la six cordes et d'autres titres plus anciens ou plus récents comme Twelve friends in the city, I met terminator, You'll see me under the moon, composés au clavier à la fin de l'été à New-York et que l'on peut retrouver sur un Cd-R dont elle a ramené quelques exemplaires. On pourrait la croire intimidée. Elle s'emmêle les pinceaux avec sa guitare, puis avec le clavier, rate le début d'un couplet, se tortille sur sa jambe, ne sait pas quoi jouer. La parfaite ingénue.



Je ferme les yeux pour ne pas me laisser déconcentrer par ses mines. Sa voix sonne bien mieux que sur ses enregistrements. Ses chansons gagnent en substance. Le jour et la nuit. Son disque n'est pas mal. Il est plutôt agréable à écouter. Mais en vrai, juste elle et sa guitare, elle et son synthé tout con, c'est de la séduction pure et simple. Je suis envoûté. Et je ne suis pas le seul. A côté de moi, une petite fille tape dans ses mains. Pourtant, l'environnement ne prête pas à ce genre de débordement. On est tous assis. Dans un centre CULturel, voyez ... Mais la gamine. Elle s'en fiche. Lisa, c'est trop chouette. Alors comme à l'école, quand la maîtresse elle chante, elle tape dans ses mains. Et bouge sa tête. Elle voudrait bien aussi bouger son petit corps de fillette. Danser quoi ! A côté d'elle, il y a un jeune garçon. Sage. Elle l'embête. "Dis, tu voudrais pas danser ?" Plusieurs fois, elle le lui demande. "Dis tu voudrais pas danser avec moi ?" Et le petit mufle timide de refuser.
Trop pas drôle, les garçons.

C'était gratuit et en accès libre

 Critique écrite le 17 octobre 2006 par Bertrand Lasseguette