Accueil Chronique album : Joy - All The Battles, par Lartsenic
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Critique d'album

Joy : "All The Battles"

Joy :

Pop - Rock

Critique écrite le 19 novembre 2014 par Lartsenic

Après quatre ans de silence, Joy revient avec un deuxième opus produit par  John Parrish. Katel (Raides à la ville - Decorum) fait désormais partie du groupe, enrichissant le trio ainsi formé de ses propositions nuancées et texturées. All The Battles reprend le chemin d'une réflexion fertile sur l'esprit guerrier, l'autodestruction et l'enfer que peut être l'Autre. Exit la langueur monotone des basses qui ralentissait le cœur, le rythme s'accélère. Le cœur s'emballe, toujours en cavale, nous le suivons dans les méandres de ses doutes, ses exaltations et ses renoncements.
      Sunday and I ouvre sur une rencontre lumineuse, nous quittons les eaux fortes du premier album: "I learned to love grey" chante Marc Huyghens. L'amour, cruellement absent en 2010, élève les chants vers les aigus, les chœurs renforcent l'impression d'ouverture sur un plus grand espace intérieur. Le morceau folk aux accents celtiques déploie une énergie communicative. L'espoir s'immisce discrètement, livrant bataille aux fantômes du passé.
    Ce même espoir traverse All The Battles, hymne à l'amour construit autour d'une condition: "if you stay here for a while". L'intro est d'une limpidité étonnante, la base souligne la tension implicite. A l'image du sentiment qu'ils évoquent, les chœurs montent à l'unisson. On entrevoit une terre promise. Le morceau est construit en spirale montante tournée vers l'extérieur, avec une douce et lente montée en puissance. Je pense à la Divine Comédie, au cheminement du protagoniste aux travers des cercles de l'enfer, mené par l'aimée à la connaissance de soi.
     L'impression d'être au purgatoire se prolonge par DNA. L'image du monstre revient (cf. Mirages, 2010). Au purgatoire-labyrinthe, le minotaure hurle, coupé du monde. Les questions pleuvent, obscures. On flirte avec la New Wave (je pense par exemple aux guitares des premiers Dead Can Dance), la chanson obsédante propose une réponse violente. Couper les ponts afin de ne plus souffrir.
    Dépouillement soudain avec Drift And Drive, où deux voix féminines d'abord en chœur se séparent progressivement. Les guitares tournent en boucles, presque Post Rock. Le "nous" redevient synonyme de désolation (cf. Endless Song, 2010), et le regard posé est d'une épouvantable froideur. On aperçoit, au centre d'un vertigineux jeu de reflets, un enfant sans espoir: l'incantation a convoqué l'origine du mal.
     En suivant les nappes de guitares dans Nineteen Twenty Four, et ce même duo, on marche hors du temps. L'interprétation impeccable de Françoise Vidick d'une femme âgée contant son histoire est supportée par la voix de Katel, dont on peut imaginer qu'elle incarne sa jeunesse. Pas de pathos dans les lignes de guitares. Il est trop tard: les choix du passé ont engendrés d'irrémédiables regrets.
     C'est d'ailleurs de remède dont il est question dans Jab The Fix. Le personnage oscille entre deux désirs antagonistes: l'état amoureux et ses paradoxes... L'ego tourne en rond, ivre de lui-même, impuissant et souffrant.
     Difficile acceptation de soi, de sa responsabilité amènent Life. Un ciel est constellé de baisers, force et courage sont puisées en l'autre.
    The White Coat utilise une anecdote pour en faire un symbole de dissension. Elle porte l'empreinte de Katel. Le blanc et l'hideux n'y font qu'un, fort belle image qui incarne la double tension qui caractérise l'album: entre mensonge et vérité, laideur monstrueuse et beauté gracieuse, vice et vertu, etc. Les boucles de nouveau soulignent le sentiment d'aliénation et Katel parvient en un instant (au travers d'un "oh" dont elle a le secret) à exprimer une vulnérabilité sous-jacente au ton ironique de la chanson.
    Pas de refuge trouvé dans Great Fire: l'homme est l'objet de sa passion ravageuse. Elle est puissamment évoquée, habitée par l'espoir d'une renaissance. La traversée des enfers est-elle achevée? Non.
     My Own private Hell semble faire discourir la part féminine et la part masculine d'une même personne. "How can I preserve love I don't deserve" me fait bondir. Mais l'amour ne se mérite pas. C'est un don! Les percussions ont disparu, deux guitares dialoguent entre boucles et arpèges gracieux.
     Le tempo ralentit enfin sur une douce ballade morbide: Golden Gun. Tristesse et tendresse sont entremêlées dans la voix de Huyghens. Le désir mortifère semble gagner la bataille; une trompette sonne l'adieu aux armes. "A faded rose goes back to the dirt": il a décidément le goût des images chocs. A chacun de réagir à sa manière, pour ce qui me concerne la réponse est claire: rose qui tombe à terre, n'est pas rosier qui meurt.
     Procurez-vous vite cet album qui n'est pas que beau: il synthétise délicatement tout ce que j'ai toujours profondément aimé et aimerai longtemps encore.

7 oct. 2014 (Venice Recordings)
Vignette Lartsenic

 Critique écrite le 19 novembre 2014 par Lartsenic
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