Accueil Chronique album : Sefyu - Suis-je Le Gardien De Mon Frère ?, par Philippe
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Critique d'album

Sefyu : "Suis-je Le Gardien De Mon Frère ?"

Sefyu :

Soul Funk Rap

Critique écrite le 07 juin 2009 par Philippe

Le premier contact avec Sefyu, rappeur masqué du 9-3, est un poil rugueux : déflagrations, sirènes et tirs à l'arme lourde... En plus il a une grosse voix et un énorme accent postillonnant de caillera, de quoi convaincre n'importe quel auditeur inattentif qu'il pratique, forcément, un rap bas du front, agressif et destructeur. Pour aggraver son cas, il utilise diverses expressions incompréhensibles (pour l'étranger au 93) qui donnent a priori l'impression d'un langage crypté - pour le nain priapique à Rolex juché sur le tank femelle qui lui sert de ministre de l'intérieur, à n'en pas douter, ce type qui en plus cache généralement son visage, est un ultra-gauchiste, un suppôt d'Al-Qaeda, probablement les deux d'ailleurs, l'ennemi public n° 1 quoi !
Et pourtant au détour de Sans Plomb 93, l'humour noir du refrain fait mouche : Dans les cités, y'a des gangsta', Dans l'gouvernement, y'a des gangsta'... On a des gueules trop cramées, d'après les médias... Comme Vladimir Poutine, le gangsta'... !. Drôle et plutôt malin, car Youssouf Soukouna n'est pas la moitié d'un con ! Suis-je le gardien de mon frère ?, à la ligne mélodique assez classieuse (comme pas mal d'autres titres de ce disque d'ailleurs), retrace ensuite avec finesse la fatalité qu'a un jeune sans repères à suivre les traces de son grand frère, et si possible le dépasser dans la délinquance, envisagée d'abord ici comme une forme d'accomplissement possible dans le nihilisme. Percutant !
Dans le même genre, Au pays du Zahef dont chaque rime se termine par un bruit de gun qu'on arme, où il constate avec dépit que tout peut finalement se régler aujourd'hui avec un calibre. Certes tout ceci a un côté un peu anachronique : on pensait être passé aux rappeurs qui réparent et proposent (Keny Arkana, Abd al Malik, M.A.P....), on a parfois l'impression d'entendre du NTM radoté, avec des Faits divers hélas mille fois répétés... mais bon, le monde change, le pays vote à droite et (donc) la banlieue reste toujours sur la touche : il n'est pas inutile qu'un témoin remue la merde et continue à appuyer là où ça fait mal. Pour citer Nicolas Gogol : "Ne t'en prends pas au miroir si tu as la gueule de travers"...
Plus constructif, C'est pas parce que démonte l'ensemble des idées reçues qui rendent les gens cons, de part et d'autre des frontières invisibles de la banlieue, des uniformes de la cité ou de la police, de l'argent, du parloir, des religions... Dans un autre style, Le journal, ou la défiance générale des jeunes gens vis-à-vis des médias, ou 3e guerre, qui dit l'ingratitude de la France vis-à-vis des travailleurs immigrés dans les années 60. Bref Sefyu a envie de tout péter certes, mais aussi une conscience aigüe des sources du mal. Il est d'autant plus crédible dans ce rôle de porte-voix qu'il a longtemps été travailleur social : il assume son rôle de grand frère, fumasse mais jamais misérabiliste ni auto-destructeur, et qui rend un fier hommage à son auditoire de supposés délinquants (Mon Public).
Pas évident malgré tout d'écouter l'album en une fois, un peu comme pour le formidable Gare au Jaguar de Joeystarr il y a quelques années : à force de se prendre des coups de boule, on finit par tomber à la renverse. L'homme à la voix de photocopieuse en bourrage vient d'ailleurs déclamer avec lui un nouveau Seine St Denis style, incompréhensible mais très énervé. Et puis certains arrangements R'n'B ne sont pas géniaux (enfin, on aime pas le R'n'B en général) : My life tout comme Vis ma vie, qui racontent pourtant de façon très évocatrice en 5 minutes l'adolescence d'un kid d'Aulnay-sous-Bois.
Quoi qu'il en soit sur l'ensemble, une production soignée et ses textes profondément mal-élevés et conscients, font de Suis-je le gardien de mon frère ? un salutaire coup de boule rotatif, probablement l'album rap français de l'année 2009 ! Et de Sefyu un grand-frère pas pire qu'un autre pour guider les petits agités qui composent son public - petits agités au sens Béruriéen du terme : pas une menace, juste une énergie certes incontrôlable mais fondamentalement positive... L'insurrection qui vient, en somme, hein Michèle ?
(2009)
Vignette Philippe

 Critique écrite le 07 juin 2009 par Philippe
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