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Chronique de Concert

Kill the Thrill

Machine à Coudre - Marseille 6 décembre 2002

Critique écrite le par

Alléluia ! Hier, j'ai vu les Kill The Thrill à la Machine à Coudre !
Alléluia ! Oui ! Les Kill The Thrill, là, en chair et en os, hier soir, à la Machine à Coudre, à Marseille !
Alléluia ! Ce matin, je suis comme saint Paul sur la route de Damas (ou, si vous préférez, comme Chirac dans les Guignols) : ce matin, je suis l'Elu. Hier soir, j'ai reçu la bénédiction suprême, la révélation ultime, et désormais plus rien ne peut m'atteindre. Plus rien : envoyez-moi les lions, et je vais vous les dresser. Je mettrai ma tête dans leur gueule, et ils se prosterneront à mes pieds. Quoi, vous ne me croyez pas ? Eh : z'êtes dingues, ou quoi ? J'ai vu les Kill The Thrill, je vous dis. Alléluia !
Alléluia ! Moi le mécréant, j'ai été choisi par Lui, et peu importe si je n'étais pas seul - de toute façon, il vaut mieux se mettre à plusieurs pour recevoir une telle décharge - une telle branlée. Comme d'autres, comme des dizaines, des centaines d'autres, j'ai reçu Son appel, et je suis venu voir les Kill The Thrill à la Machine à Coudre. Allez tous vous faire foutre ! (ah, il faut que je vous prévienne. Depuis que j'ai découvert les Stupéflip sur scène, j'ai décidé de faire légèrement évoluer le lien que j'entretiens avec mes lecteurs. Compris, bande d'enflures ?). Alléluia !
Alléluia ! J'ai pas rêvé, ça non. On était bien à la Machine à Coudre : ce cafoutch aux murs en carton, planqué au coin de la rue d'Aubagne, ces tables et ces chaises dérobées dans une maison de poupée, cette scène de 3 m²... Et cette bière, cette fameuse bière qu'on ne boit qu'à la Machine à Coudre, comme si elle jaillissait tout droit d'un immense gazoduc planté au milieu des champs de houblon d'Alsace, avec de vrais morceaux de fer dedans ! Et non, je ne me goure pas d'année non plus : non non, les gars, on était bien en 2002, hier. Harry Potter et Nicolas Sarkozy tous les jours à la télé, vous aviez vu jouer ça quand, avant ? Convaincus ? Alléluia !

La Muraille de Chine

Alors voilà, bande de nazes : Kill The Thrill, ce sont trois musiciens, et autant de guitares. Un vrai mur, à côté duquel celui des Pink Floyd ressemble à une aimable barrière d'autoroute (même Roger Waters en conviendrait). Ce mur, il est d'abord là physiquement : des trois, pas un qui s'abrite derrière les deux autres ; tous en ligne devant la foule comme le XV de France devant l'Afrique du Sud, genre : bougez pas, on va vous en mettre plein la gueule, et vous ne nous faites pas peur. Non mais !
A gauche (bon, c'est sûrement pas contractuel, mais disons que ce soir-là, il était à gauche quand vous matiez la scène. Z'avez décidé de me faire chier, c'est ça ?), Nicolas Dick. Un grand escogriffe, massif, au regard intense et au chant rauque et halluciné, plutôt dans les tons graves, qui psalmodie ses litanies barrées comme un curé cocaïnomane vous administre l'extrême-onction.
Au centre, Marylin Tognoli. Une petite brune mignonne (aussi mignonne que ça, c'est suspect. Dans la vie, je la soupçonne d'être complètement barge) et toute en nerfs, qui tire de sa basse une rythmique épaisse et légère, aérienne et lourde en même temps, le tout sous un sourire propre à faire fondre la couche de métal doré qui protège la Bonne-Mère.
A droite, Fred de Benedetti. Un épileptique qui aurait oublié de prendre ses médicaments, et qui manifeste un talent certain pour la danse de St Guy, entre les mains duquel on aurait mis une guitare atteinte de la maladie de Parkinson, et qu'on aurait branché lui et son instrument sur le 380 (ou à peu près. Je ne suis pas électricien).
Et derrière (ou plutôt : à côté - on est à la Machine à Coudre, oubliez pas), des machines, pour la batterie, et pour les gazouillis d'oiseaux et les petites notes de piano qui entrouvrent des morceaux où très vite, une mélodie hypnotique et glaciale vient vous recouvrir entièrement, des pieds à la tête, pis que des sacs poubelle sur la Canebière un jour de mistral.
Certains peuvent s'en arrêter là. C'est vrai. Après tout, personne n'est obligé d'adhérer au spectacle - d'autant qu'il n'y a pas de spectacle : les musiques ressemblent étrangement les unes aux autres, et même si vous comprenez l'anglais qu'on parle dans les bouges de Manchester ou les rades de la Grosse Pomme, vous n'entravez que pouic aux paroles. A la Machine à Coudre, hier soir, on pouvait très bien, par exemple, se contenter de boire sa bière, tranquille, et aller ensuite se rincer la bouche avec un kebab à l'huile d'olive marchandé un peu plus bas dans la rue. C'est selon.
Seulement, c'est comme dans Stargate ou les fumisteries SF du même style : vous, vous êtes curieux - vous, vous n'avez rien à perdre. Alors, vous plantez un doigt timide sur ce mur épais et flasque qui flotte devant vos yeux et, vous apercevant du passage, très vite mettez la main, et puis le bras, et puis le corps tout entier. Et une fois de l'autre côté, c'est comme dans le film : vous entrez dans une autre dimension. Vous avez franchi la Muraille de Chine. Bienvenue à Marseille, les ahuris ! Alléluia !

Sangatte ? Non, Michelet.

Compagnons irakiens, amis américains, vous voulez fuir un pays dirigé par un cinglé qui vous mène droit dans le mur ? Pas d'engatse : viendez à Marseille ! Camarades sans-papiers, Sarkozy vous pourchasse ? Mendiants et prostituées, vous cherchez un endroit où exercer librement votre métier ? Approchez. Vous connaissez les trois conditions à remplir pour obtenir la citoyenneté marseillaise ?
Premièrement, aller au Stade Vélodrome un soir de match.
Deuxièmement, emprunter au moins une fois dans votre vie le ferry-boat du Vieux-Port.
Et troisièmement, assister à un concert des Kill The Thrill à la Machine à Coudre.
C'est mieux que Groland et son passeport à la noix, pas vrai ? Moi, aujourd'hui, ça y est. Peuchère ! Pas besoin que Gaudin m'appelle : je suis citoyen marseillais (enfin, presque. Me reste plus qu'à aller au Stade, en fait. Quant à prendre le bateau, faut pas déconner : après un concert pareil, le Vieux-Port, c'est à la nage que je le traverse. The fingers in the nose !).
Le rêve, évidemment, serait de voir les Kill The Thrill jouer live au Vélodrome, et que des flopées d'impétrants aillent assister à l'événement en ferry-boat. Là, à raison de 60.000 baptisés par jour, il suffirait de quelques semaines pour proclamer la paix dans le monde entier, aussi sec on enfermerait Bush et Saddam et Sarkozy au Château d'If, il n'y aurait plus qu'une seule religion : le ballon rond, et Marseille serait démocratiquement désignée capitale éternelle de l'Univers, et vainqueur définitif de la Champion's League... Putaing cong ! Tu parles d'un òai !
Wah, t'as vu ça, minot ? J'ai chopé l'assent ! Fan de chichourle ! Maman ! Ch'sus un vrai Marseillais ! Maintenant, les mecs, je crains dégun : j'ai vu les Kill The Thrill à la Machine à Coudre ! Alléluia !

Allô... Caracas ?

Hier soir, les patrons de la Machine à Coudre (un Philippe et une Claire débordés, harassés, fourbus... Mais toujours aussi simples et sympas) avaient invité leur voisin (celui du dessus, vous savez : celui qui a été obligé de s'acheter un porte-voix pour téléphoner) à prendre des vacances. Excellente précaution (d'après nos informations, le gars se serait réfugié au Venezuela, où il attend que les choses se tassent) : car eût-il supporté, celui-là, dans une rue Jean-Roque interdite à la circulation, de voir autant d'épaves flottantes (qui, pour le moins qu'on puisse en dire, ne sont pas près de se faire poser une double coque) en un si petit périmètre ?
Eût-il résisté à la vision de ces jeunes femmes, toutes belles à se damner, brunes incendiaires, blondes pyromanes, rousses incandescentes, en bas résilles, chemisiers à fleurs, piercing sur la langue et tatouage sur l'épaule ?
Eût-il admis que, faute de place, on entrepose une quantité industrielle de fûts de bière (cette fameuse bière qui affole les compteurs Geiger) devant sa propre montée d'escaliers ?
Eût-il été convié à entrer, serait-il parvenu, sans une machette digne d'une forêt équatoriale, à se tailler un passage dans cette foule épaisse et moite, aux parfums de sueur honnête et d'eau de toilette à 0,30 euros ?
Eût-il seulement été salué par tous ces hommes exhibant leurs poils de barbe mal taillés, comme dans une pub pour une mousse à raser ? Kill The Thrill ? Wilkinson, bien sûr...
Cherchez pas : la Machine à Coudre, hier soir, ressemblait à un gymnase municipal abritant les rescapés d'une crue centénale. Or donc, parmi tous ces trentenaires debout, assis sur les tables ou allongés par terre, que voit-on ? Un costume, des vestes en fourrure, des sweats à capuche, des blousons en cuir. Des mocassins, des souliers vernis, des escarpins, des espadrilles. Des carrés de soie, des bandanas, des foulards, des mouchoirs.
Le public des Kill The Thrill ? Un mélange de Quinzaine des Bonnes Affaires aux Galeries Lafayette, et d'un samedi matin aux Puces du XVème.

C'est quoi, le métal-indus' ?

Bien sûr, on n'a vu ni le before (Swim, un pourtant excellentissime groupe) ni l'after (Laurent Boudin, quelqu'un de très bien aussi - quoique dans un registre passablement différent). Pas folle la guêpe : devant tant d'électricité aussi débridée, les piles de mon pacemaker n'auraient pas résisté. Kill The Thrill nous suffit : un son primal et clinique, beau et polaire, comme un monolithe de marbre noir posé dans un jardin à la française. "Du métal-indus'", proclament d'une moue dédaigneuse les exégètes du combo, en oubliant de préciser ce que ça voulait dire. Les cons !
Grâce aux Kill The Thrill, maintenant on sait ce que c'est : le métal-indus', c'est une musique conçue sur la chaîne des usines Trabant de Leipzig avant la chute du Mur, passée au laminoir et découpée en poutrelles dans les hauts fourneaux de Rostock, pilonnée par le marteau de dix mille Polonais furieux et torchés à la vodka, fondue et refondue dans un squat proto-punk genre entrepôt désaffecté du côté de Gdansk, charriée par cent mille bateliers ukrainiens sur les flots gelés de la Volga et de la Moskowa, et qui, au lieu de finir, comme d'ordinaire, en sous-marin soviétique errant sans fin sous l'Arctique, se retrouve un beau soir de décembre 2002 dans les cordes d'une guitare dézinguée, à vous recracher son haleine de saumon fumé à la gueule. Le métal-indus' ? La Musique qui venait du Froid.
Bien sûr, on pense à Joy Division, à Jesus & Mary Chain, à My Bloody Valentine, à Killing Joke, aux Young Gods. On pense à tout ce rock noisy et ses déclinaisons baroque, gothique, dark ou arty. Plus fortement encore, on pense à un Velvet Underground du pauvre, où Lou Reed se serait pété les cordes vocales, où Sterling Morrison jouerait encore plus vite et encore plus mal, où John Cale aurait brisé son violon et quitté la salle et où Moe Tucker aurait brûlé ses fûts et pris la basse.

Message personnel.

Dans le dernier numéro de Nouvelle Vague, un certain Simon P. avoue que, depuis quinze ans, il ne passe pas un mois sans réécouter le premier disque du Velvet Underground (album dit "à la banane", avec Andy Warhol et Nico). Alors voilà : encore cinq ans à ce régime, Simon, et après tu pourras passer au Live 69 des susdits. Tu écoutes celui-la une bonne vingtaine d'années à ce rythme, et ensuite, appelle-moi. Je te parlerai alors d'un groupe marseillais nommé Kill The Thrill et, à ton tour, tu seras sauvé. Alléluia !

Et ta sœur ?

On me pardonnera (ou pas) l'emphase qui me tient trop souvent lieu de propos, mais trouver les qualificatifs les plus adéquats pour évoquer la musique des Kill The Thrill suppose de dépasser quelque peu les formules prévisibles qu'on lit dans les journaux d'une certaine branchitude - voire, qu'on entend sur les ondes de certaines radios dites pour les djeunzes. Car après un concert des Kill The Thrill, n'allez surtout pas dire : "Putain, un groupe pareil, ça le fait !", ou un truc du style : "Sur ma sœur, ce son-là, j'le kiffe grave !" ; après un concert des Kill The Thrill, ne parlez pas non plus de "l'orchestre qui déchire sa race !", ou du "groupe qui arrache du slip !". Vous risqueriez alors d'être un peu juste : Kill The Thrill, c'est bien plus fort que ça. Ou alors, si vous préférez, c'est tout ça en même temps ; quelque chose comme : "Sur ma race, je kiffe ce groupe tellement grave que ça déchire tous les slips de ta putain de sœur !". Voyez ?

Electric city.

Bien sûr, je suis parti avant la fin. Trop d'émotions tuent l'émotion, c'est fatal - sans compter, surtout, que je me suis pété un plombage en finissant de mastiquer ma bière.
Je suis rentré chez moi tous feux éteints, en faisant de grands détours pour éviter les barrages de police, et là, je me suis aperçu du changement qu'il y avait dans la ville - dans MA ville. Evidemment, j'ai sûrement dû mal voir, et je ne vous garantis pas que tout ceci soit la vérité vraie. Mais durant le temps qu'avait duré le concert des Kill The Thrill, des dizaines d'employés municipaux avaient entièrement redécoré les rues.
Sans mégoter, ils avaient mis des millions d'ampoules au moindre réverbère, des guirlandes suspendues qui clignotaient de mille feux au dessus des avenues, des fils lumineux et des illuminations éblouissantes qui balisaient ma route. Une fête géante de l'Electricité, un peu comme si une compagnie entière de CRS avait gentiment décidé de me raccompagner jusqu'à chez moi. Un miracle ? Oui, certainement. Le premier d'une série qui n'est pas prêt de s'achever... Puisque je vous dis que je suis l'Elu ! Puisque je vous dis que j'ai vu les Kill The Thrill à la Machine à Coudre !
Alléluia ! Alléluia !


 Critique écrite le 08 décembre 2002 par Dominique K.


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