Chronique de Concert
Gildas Etevenard + Silvain Vanot + Gérald Kurdian (festival Avec le Temps / Gravitations)
C'est donc avec deux hommes heureux que débute cette dernière journée de la 18ème édition du festival Avec le Temps. Et le court discours " de clôture " de Frédéric Nevchehirlian et Denis Laroussinie respire le bonheur, et une certaine satisfaction quant au bilan de cette dix-huitième édition 2016.
Un festival " nouvelle formule ", bénéficiant notamment du rapprochement avec la coopérative culturelle Interne/Externe et la greffe heureuse du micro-festival Gravitations, et dont l'objectif semble avoir été atteint : dynamiser le festival, en ouvrant grand portes et fenêtres sur l'extérieur, avec en particulier de nouveaux lieux mais également des " parcours chanson ", performances musicales en journée, dans des lieux ouverts divers et variés, parvis de l'Alcazar, cinéma ou station de métro.
Mais la nouvelle dynamique semble également passer par l'élargissement du panel des propositions artistiques offertes au cours de cette édition. Et à ce titre, la dernière journée (après-midi en l'occurrence) du festival qui s'est tenue ce dimanche au GRIM Montevideo en a été un des exemples flagrants. Car réunir sur un même plateau et dans un lieu d'une pure beauté, un artiste national de renommée indiscutée, Sylvain Vanot, un artiste local à la renommée non-moins discutable, Gildas Etevenard, ainsi qu'une découverte extra-muros, Gérald Kurdian, et ce dans des registres totalement différents, combine toutes les vertus d'un festival digne de ce nom : bénéficier de la faveur d'un des ingrédients pour faire découvrir les autres.
En ce qui me concerne, la porte d'entrée sera Gildas Etevenard, qui ouvre les festivités, et qui n'est pas un inconnu dans la cité marseillaise. Le batteur multiplie les collaborations, notamment avec Frédéric Nevchehirlian, justement. Mais ses projets solo sont sans doute moins connus. Au beau milieu d'un étalage incroyable de percussions de tous styles (batterie bien entendu, mais également sets d'effets, cithare, harmonium, ... jusqu'à un gardon, instrument à cordes ressemblant à un violoncelle couché, utilisé ici comme un instrument de percussion aux cordes frappées ou pincées.), l'artiste met en musique, et parfois en chant, ce qui est une surprise pour moi, des textes d'Henri Michaux, Gaston Miron, Arthur Rimbaud ou Annie Le Brun. Une très belle poésie, qui loin d'être en décalage avec un festival de chanson, est d'autant plus appréciée que l'artiste nous en offre des belles explications entre les titres.
La chronique de concert est déjà un exercice difficile, et les aficionados de la poésie me pardonneront je l'espère. Quoiqu'il en soit, il résulte de la performance des atmosphères oniriques, démultipliées par la très belle voix de l'artiste, et la sonorité de ses instruments étranges, tantôt inquiétants ou curieux, tantôt doux et envoûtants, éthérés. Et le tout m'aura suggéré une délicate humanité, une harmonie entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'intime et son environnement.
Mais même " Avec le temps ", il presse, et l'artiste cède la place à une toute autre poésie, celle de Silvain Vanot. Et c'est comme si, tout à coup, un respect palpable envahissait tout entier la nef scénique du Grim - Montevidéo (respect d'autant plus surprenant que je ne connaissais pour ainsi dire presque rien de l'artiste avant ce soir). Sur scène, l'artiste semble faire partie de ces hommes discrets, sur la réserve, et qui paradoxalement, vraisemblablement par l'honnête de leur sensibilité à fleur de peau, en impose pourtant. Mais ce n'est pas les apparences qui l'emporteront sur cette série de quelques morceaux, mais bien les compositions.
A l'image d'un Manset à la voix de Neil Young, les textes qui nous sont offerts désarçonnent et déconcertent littéralement, à vous faire écarquiller les yeux au premier abord (" Ma vie d'avant je l'aimais moins / J'étais parti faire un tour à la rade pour échanger quelques mots / Et je me retrouve avec ma plus vieille amie allongée dans les roseaux " - Les Roseaux). Une telle simplicité, mate, plaquée, flanquée sur de superbes sonorités de guitares, le doute s'installe. Mais on s'accroche tout autant qu'on se laisse aller.
Une certaine mélancolie baigne l'ensemble et nous berce. Dans cette mer intérieure que l'artiste nous livre, les hauts sont tout aussi beaux que les bas (La Vie Qu'on Aime est, comme je l'ai lu quelque part, plombante à souhait). Seul à la guitare ou accompagné par Christian Quermalet des Married Monk, la magie opère. Des textes sensibles d'une accroche subtile, indirecte, interprétés assez simplement, mais qui s'infusent, qui vous happent à votre insu, et ne vous lâchent finalement plus (" De toutes les filles que je trouvais jolies / Ma préférée s'appelait Lucie / Elle n'a prévenu personne que moi / Le Soir où elle est partie" - Lucie).
Malgré une courte pause, c'est sans transition que la dernière claque de l'après-midi nous est délicatement infligée par Gérald Kurdian. Et il faudra l'esprit ouvert, car à chaque détour de morceau, la pop à géométrie variable de Gérald Kurdian nous chope là où ne l'attend jamais. Seul devant ses claviers et machines, et malgré le plâtre qui orne son poignet gauche (qu'est-ce que ce serait s'il avait les deux mains libres !), pêle-mêle arrangements, accords de claviers, effets de voix et autres samples tonitruants sont totalement prenants et aiguisent la curiosité. Comme si l'homme avait du mal à faire entrer dans des formats de trois à quatre minutes le champs de tous les possibles qui bouillonne intérieurement.
Visage très expressif, affable, gai, à l'humour facile et efficace, l'homme aux allures de pasteur urbain et dansant déguisé en roadie, tout à la fois serein et électrique, lumineux, semble sur scène comme un poisson dans l'eau. Que ce soit en français ou en anglais, la voix, tantôt chantée, tantôt déclamée, m'apparaît parfaite (accrochant cependant plus volontiers sur un parler-chanter impeccable, que sur les chorus et envolées vocales). Je ne sais toutefois pas si mon avis sera révélateur du public, ou si celui-ci sera resté pantois devant cet artiste bouillonnant. Quoiqu'il en soit, personnellement, je prends, sans état d'âme.
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Critique écrite le 28 mars 2016 par flag
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