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Interview de Moriarty à l'occasion de leur concert à Istres

Interview de <i>Moriarty</i> à l'occasion de leur concert à Istres en concert

L'Usine - Istres 17 Décembre 2008

Interview réalisée le 24 décembre 2008 par Matthieu

C'est à l'Usine d'Istres que Moriarty joue ce soir pour un public déjà conquis d'avance (voir chronique. Face aux diverses difficultés rencontrées pour obtenir une interview de dernière minute, je me trouve nez à nez avec, en fin de set, un groupe des plus accessibles et chaleureux. C'est donc avec Zim (basse) que je démarre cette interview totalement improvisée sur le zinc du comptoir de la salle, en compagnie des happy few restés jusqu'à la dernière minute.



Vous voulez cette interview en français ou en anglais ?

I don't mind, franchement c'est comme vous voulez. (Rires)


Pouvez-vous nous dire quel rapport vous entretenez avec la culture française, avec la langue en tant que francophones ?

On est francophones, on est anglophones, on est "bilingophones", et ce qui nous plaît dans la culture française c'est je pense quelque chose qui est symétrique à la culture anglo-saxonne. Honnêtement en terme d'identité, on a passé la plus grande partie de notre vie en France, on a tous fait des voyages, j'ai également vécu à l'étranger dans les patries d'origine de mes parents, mais on se sent surtout ‘entre deux' en terme d'identité. C'est une question très intime, je parle au nom de tout le monde parce qu'on a tous des origines partagées.


Est-ce que ces voyages constants n'ont pas eu une influence sur votre manière d'écrire ?

Oui, quand on est bilingue on a le cerveau divisé en deux, à gauche et à droite.



Avez-vous déjà pensé à faire des textes en français ?

Oui, on y a pensé mais ce n'est pas encore le moment. Les textes sortent naturellement en anglais. Arthur lui rêve en anglais, et comme il écrit beaucoup de morceaux, ses textes ont souvent un rapport avec ses rêves ; c'est un peu spontané, une sorte d'écriture automatique et cela sort en anglais. Par exemple la langue maternelle avec laquelle Rosemary a appris la musique en anglais, car son père est un musicien américain né en France.
La question ne s'est jamais vraiment posée, on a commencé à faire de la musique en chantant en anglais. Les premiers textes originaux sont venus d'Arthur avec son ami d'enfance Allan Robert qui est désormais journaliste. Les textes se font toujours par l'inspiration directe, il n'y a pas de calcul, ce n'est qu'une question de spontanéité.
Maintenant c'est vrai qu'on nous demande des choses en français, et Rosemary s'est éprise du travail de Pierre Macorlian, écrivain d'après guerre et plus précisément des chansons qu'il a écrites pour Germaine Montero, des chansons réalistes en argot du Havre. On ne l'a pas joué ce soir, mais nous l'avons fait à l'alliance française de Dublin, une sorte de clin d'œil pour les français expatriés, et on l'a refaite aux coups de cœurs francophones de Montréal en novembre 2007.
Nos parents sont tous expatriés, tous immigrés, exilés, tous les termes que l'on peut trouver pour décrire des gens qui viennent d'une culture différente de celle de leurs origines. Faire de la musique pour nous, c'est jouer pour ces communautés en quelque sorte. Moi j'appelle ça être fifty/ fifty. Quand je suis allé au Vietnam, car j'ai de la famille là bas, les enfants m'appelaient spontanément fifty/ fifty ou me considéraient comme un français alors qu'en France on me regarde avec les traits asiatiques. Finalement on ne se sent nulle part chez nous, par rapport aux 100% on se sent toujours 50%, mais on finit par en être fier au bout d'un moment.



Vous développez un côté très intimiste sur scène. La difficulté n'est-elle pas de retranscrire ce côté bricolé sur scène ou en studio ?

Il y a la question de la distance physique qui a une grande importance, elle influe sur la musique telle qu'on la fait. On ne peut pas jouer de la même manière si on est éclaté à dix mètres sur un plateau que si on se touche. Peut être que pour d'autres groupes ce n'est pas essentiel, mais pour nous cela influe énormément. Quand on a composé nos premiers morceaux, on jouait dans de très petites caves, et ça a du former cette habitude de jouer très proche, de jouer les yeux dans les yeux et d'entendre de toutes petites choses, de pouvoir à peine frotter une corde et de pouvoir l'entendre. Cela n'aurait pas été pareil si on avait joué dans de grands studios. Après, il y a les signes par regards ou chuchotements. En fait je pense qu'on n'a pas spécialement envie de faire quelque chose d'intimiste. Cela vient juste de nos habitudes scéniques. Après, rien ne nous empêche d'utiliser le potentiel et l'espace de la scène, mais on ne peut pas s'éloigner plus que notre limite pour bien jouer.



Vous avez également ce côté très théâtral sur scène. Peut-on dire de vous que vous êtes plutôt une troupe ou un groupe ?

Les deux définitions peuvent prendre sens. Groupe de musique est tellement générique et peut s'appliquer à toutes sortes de choses. Il y a des groupes de toutes sortes, alors que troupe s'apparente à la troupe de théâtre, des gens qui vivent ensemble sur la route, qui grandissent et qui se construisent ensemble. Groupe, c'est plus instantané. En général on dit qu'on est une famille parce qu'on se comprend bien dans l'entre-deux, entre deux langues, entre deux cultures, entre deux nationalités, entre deux pays, entre deux musiques aussi ; le fait de partager ces choses nous donne une sorte de code génétique commun où l'on comprend beaucoup de choses sans avoir à s'expliquer. Il y a des gens qui nous demandent si nous sommes vraiment des frères et sœurs, et je pense que ça sous-entend génétiquement... Pas encore, non, et si on trouve un moyen de nous assimiler génétiquement, on le fera mais pour le moment nous sommes frères et sœurs de manière spirituelle.


Comment pouvez vous qualifier votre multitude d'influences, très internationales en quelque sorte ?

Comment la qualifier ? Je ne sais pas trop, on a tous des goûts musicaux hétéroclites voire totalement opposés, l'un d'entre nous peut adorer un groupe, puis le présenter aux autres et au final nous allons jeter le disque parce que c'est inécoutable. Quelques rares artistes passent le test musical et font l'unanimité mais en majorité on n'écoute pas la même chose et quand on compose, on a ce lien humain qui nous unit, et qui nous fait respecter les influences de chacun. Et lorsque quelqu'un compose sous influence, les autres vont la contredire. Certains sont peut être baignés dans le blues d'avant guerre, très rural, années 20 ou 30, par contre moi je ne m'y connais pas beaucoup. Par exemple, si on m'amène un riff qui vient du blues, je vais essayer d'amener quelque chose qui vient plus de la new-wave. Ça n'a rien à voir mais il va falloir trouver un moyen de le faire fonctionner ensemble. Et ensuite chacun va amener sa propre touche, Rosemary va être baignée dans du chant lyrique, ce qui va amener une autre touche. C'est assez bizarre mais c'est souvent comme ça que ça se passe. On dirait un jeu où tout le monde tire la couverture de son côté, et au final on ne sait pas très bien ce que va être le résultat. C'est un peu comme un cadavre exquis, il y a juste un code qui dit que tout doit se connecter en pliant la feuille. Il n'y a que cette règle du jeu, et lorsque l'on déplie la feuille, on découvre la surprise, le monstre qui naît. Le problème avec les monstres, c'est que c'est assez difficile de les faire tenir debout, ça se casse souvent la figure. C'est une sorte de Frankenstein.



Vous semblez avoir cette fascination pour tout ce qui touche au kitsh, au rétro et au vintage. N'est ce pas pour vous une manière de tourner en dérision les codes esthétiques présents ?

On est très méfiant vis-à-vis de l'obligation d'être contemporain et moderne. Etre contemporain et présent, ça ne veut pas dire se conformer aux codes esthétiques actuels. Par contre, on nous dit souvent que nous avons une étiquette rétro que je déteste complètement, car rétro signifie uniquement le fait de choisir une époque et la labelliser. Je sais qu'il y a des groupes d'inspirations années cinquante qui font ça très bien en prenant les vêtements des années cinquante, la pochette de disque, etc. Pour nous, ça ne nous intéresse pas plus que du folklore où par exemple on va jouer la musique du 17ème siècle pour la rejouer telle quelle en s'habillant de la même manière.
Ce qui ne nous intéresse c'est de ne pas avoir d'époque. Thomas adore la musique des années 30 et moi la musique des années 70 et 80 et pour la réconcilier, on se dit qu'il n'y a qu'un temps cyclique, que les choses reviennent, mais par contre que les thèmes ou les manières de chanter ne meurent jamais. On veut échapper à la dictature du temps présent, et je vais donner un exemple : nous avons écrit une chanson qui s'appelle Private Lily, écrite il y a trois ans, qui est de surcroît une histoire vraie à propos d'une cousine d'un de nos membres qui s'est engagée dans l'armée américaine. Cela a été un choc lorsqu'il l'a appris et la chanson est née quelques heures après ça. A l'époque, la guerre d'Irak battait son plein, on lui demandait si elle se rendait compte qu'elle pourrait être envoyée là bas, et elle nous répondait qu'elle serait prête à le faire à l'âge de dix huit ans.
Cette chanson est née très viscéralement, et en la réécoutant, on s'est très vite aperçu que personne n'a parlé de la guerre d'Irak, et les paroles qui ont été écrites avec Arthur, Rosemary et moi-même sont placées de manière intemporelle. On ne nomme même pas l'époque, le pays, c'est une sorte de parabole qui pourrait aussi bien s'appliquer à la seconde guerre mondiale ou à la guerre du Vietnam. On peut également retrouver ça sur des correspondances de soldats des guerres passées. On voit tout ça plutôt comme un temps cyclique plutôt que du progrès et le fait d'être contemporain. Rétro et intemporel ne veulent rien dire pour nous, intemporel est trop générique et veut dire trop de choses à la fois. La chose qui nous intéresse c'est plutôt la multi-temporalité, ce qui est plaqué hors des temps, hors des cultures.



Comment va Colette ? Et Gilbert comment va-t-il ? (Gilbert et Colette sont les deux bustes d'animaux empaillés utilisés sur scène)

Gilbert n'était pas présent car il a eu une petite période de fatigue due à la tournée qui a été un peu dense, et étant un chamois des Vosges, il a un peu de mal avec les grandes chaleurs et le sud, tandis que Colette est elle une biche de Normandie qui s'acclimate mieux au climat. Ils ont simplement échangé leurs rôles, pour que nous en ayons toujours un sur scène. Ils nous donnent plein de courage et d'énergie.


On leur souhaite bon courage...

La tournée se clôt bientôt et nous commençons bientôt la tournée à l'étranger à New York le 10 janvier, et de là nous allons aller en Hollande, Espagne, Angleterre, Allemagne et Scandinavie, et peut-être au Japon. Mais je pense que cela influe beaucoup de savoir avec quel type de public nous allons jouer ; de par leur langue, ce n'est pas la même manière d'appréhender la scène. Le public anglo-saxon perçoit directement les paroles : quand on joue Jimmy, le public se met à rire car le texte est absurde et comique avec ses paroles intraduisibles en français, alors qu'en France, le public s'axe plus sur le côté mélancolique de la musique. C'est amusant de faire cette expérience, grâce à cette différence de lecture musicale.

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