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Chronique de Concert

Gonzales

Gonzales en concert

Le Trianon, Paris 27 Novembre 2010

Critique écrite le par



Chilly Gonzales, alias Jason Beck est un OVNI musical. Génie autoproclamé, le pianiste Canadien a sorti il y a quelques mois Ivory Tower, réalisé en collaboration avec le DJ allemand Alex Ridha, plus connu sous le pseudonyme Boys Noize. L'album est un chef d'œuvre et Gonzo le présentait ce soir lors d'une unique représentation parisienne au Trianon. Beaucoup d'attentes reposaient sur sa prestation, l'artiste détenant le record du monde du concert le plus long (avec plus de 27 heures) et sa réputation de showman délirant n'étant plus à faire.

En première partie, il a choisi de mettre en avant un magicien. Sur fond de musique électro, celui-ci joue avec des agrafeuses, mange des cigarettes, du verre et des lames de rasoir, avant de se planter un clou dans le nez. Illusions, illusions ? En étant à deux mètres du jeune homme, on trouve en tout cas sa prestation plus dérangeante qu'autre chose, et on a surtout hâte que ça se termine.

Il faut ensuite attendre une longue demi-heure avant que le maestro entre en scène, vêtu d'un smoking blanc à queue de pie... et de charentaises. Déjà le décalage. Il débute ce concert seul sur un piano demi-queue. Comme à son habitude, le virtuose en fait des tonnes, grimace, amuse le public, joue avec les pieds, les coudes, se déchaîne comme un hard rocker. On en oublierait presque la musique, mais les doigts épileptiques de l'artiste courent déjà à toute allure sur l'ivoire avec une facilité insolente. Gonzales enchaîne airs classiques, thèmes de sa propre composition (notamment le célèbre Gogol), boogies enflammés et impros délirantes. Il en vient même à jouer le fameux Eye Of The Tiger, qui lui permet de s'adonner à son effet de manche favori : le contraste et les ruptures brutales entre passages enlevés où il pilonne son instrument comme un damné et petites mélodies délicates. Pour finir ce premier chapitre du concert, qui aura duré près de trente minutes, il fait enlever son piano, mais continue de jouer en marchant pendant que les techniciens ramènent l'instrument au fond de la scène.



L'artiste revient accompagné de trois musiciens : deux batteurs et un autre pianiste. Rapidement intervient le tubesque I Am Europe. Encore plus énergique et rythmé que dans sa version studio, le titre fait déjà danser toute la salle. Gonzales l'achève en annonçant : "c'était un morceau de Richard Strauss, interprété par mon groupe Double-Pénétration". La salle est hilare. Après un petit speech humoristique sur la rancœur, il entame The Grudge, pour lequel il est rejoint sur scène par la chanteuse Anaïs. Après un nouveau passage rap + batteries, qui permet de confirmer que le pianiste excelle dans le rôle de MC, on a droit à un troisième titre issu de Ivory Tower, avec toujours plus de rythmes endiablés et de pianos impétueux. Le public est déchaîné, la performance est déjà hallucinante. Nouvelle vanne du musicien anglophone, qui maîtrise parfaitement la langue de Molière : "des fois, je veux dire quelque chose en français, et ça donne des choses comme ‘je vomis sur Julien Doré'". Pendant ce temps, un bongo descend du plafond au-dessus de sa tête. Il s'en sert pour rythmer un nouveau rap, avant d'entamer une parodie du King of the Bongo de Manu Chao, avec des paroles fantaisistes. Il poursuit sans attendre par Knight Moves, dont le début calme n'est qu'un leurre avant un nouveau tsunami. C'est fou ce qu'on peut faire avec seulement deux pianos et deux batteries ! Après une reprise du thème du Parrain au mélodica, Gonzales se lance dans Take Me To Broadway, l'un de ses titres les plus connus, rapidement noyé de stroboscopes, pour ensuite le mêler à une version futuriste de l'inoxydable Lettre à Elise. Le tout finit en tempête sonore où Gonzo fait encore le show, s'agitant derrière son clavier comme s'il se débattait dans quelques flots torrentueux. 1h20 de concert, l'artiste sort une deuxième fois de scène, pour mieux y être rappelé par un public extatique.



De retour, il demande au Trianon ce qu'il a envie d'entendre. On entend crier You Can Dance, et l'artiste de jouer une partie de ce morceau qui compte parmi les nombreux tubes de son dernier opus. Après un nouveau hip-hop, interprété assis sur le piano, il sort... un iPad ! Pour ceux qui n'auraient pas saisi la référence, la musique illustrant la pub de la dernière machine d'Apple est son titre Never Stop. Il commence à jouer le thème sur l'écran tactile, avant de lancer véritablement le morceau, qui restera comme l'apogée de ce concert démentiel : abandonnant les claviers, Gonzo est juché sur le devant de la scène et pose un nouveau flow enragé. Plus déchaîné que jamais, il harangue une foule en transe, puis part en slam, porté en triomphe par des spectateurs exaltés, tout en continuant de chanter ! Le Trianon est plus bouillant que jamais, il s'y propage une énergie irrésistible sur laquelle le pianiste fou semble surfer. Et comme il est décidément l'homme le plus classe du monde, il repose les pieds sur scène pile au moment de conclure son couplet, pour mieux reprendre le thème au piano et lui offrir un épilogue dantesque et surpuissant. 1h40 de concert, le virtuose se retire une troisième fois en coulisses.

Le public est hystérique. Après s'être fait remplacer au piano par un spectateur pour un surprenant funk-rap, Chilly Gonzales offre encore un ultime morceau pour clôturer ce concert mémorable, qui s'achève évidemment par une très longue ovation.

Certains trouveront que Gonzales en fait trop, qu'à mettre autant l'accent sur son jeu de scène délirant, il fait passer la musique au second plan, mais ce ne serait pas rendre justice au talent infini de l'artiste, qui maîtrise à tel point son art qu'il peut se permettre d'en jouer à l'envie, et d'y adjoindre tout un spectacle. Comment ne pas admirer cet incroyable showman, ce pianiste virtuose, ce rappeur hors pair et ce compositeur de génie ? Parce que là où le virtuose interprète les morceaux à la perfection, le génie crée autant de chefs d'œuvre. Alors oui, Gonzales est un génie, et il a offert ce soir à la capitale un des meilleurs concerts de l'année.

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