Accueil Chronique album : Elliott Murphy - Intime, par Jacques 2 Chabannes
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Critique d'album

Elliott Murphy : "Intime"

Elliott Murphy :

Pop - Rock

Critique écrite le 07 mars 2014 par Jacques 2 Chabannes

Elliott Murphy / Intime
"Le Sommeil du Juste..."

La première chose qui vient en tête, en découvrant le nouvel EP du légendaire songwriter US Elliott Murphy - quelque chose comme son 12734e enregistrement : compilations et Live compris, cela va de soi... - c'est son Intime de titre, plutôt intriguant, ma foi (et la curieuse photo de fenêtre close, l'illustrant).
Connaissant l'homme et sa faculté à jouer en permanence d'avec le sens des mots (deux ou trois degrés ou significations, au bas mot !) impossible de ne pas s'y attacher d'emblée.
Intime: au sens propre. Parce que écrit dans l'intimité de la table de cuisine de son domicile Parisien en regardant le monde "évoluer" au travers de sa fenêtre (Songs From The Kitchen était par ailleurs envisagé en premier lieu, niveau titre).
Intime: parce que conscient que son taux de notoriété actuel et le "buzz" généré par sa sortie devrait rester de l'ordre de l'"intime" (l'homme n'étant pas avare d'autodérision, contrairement à tant et tant d'autres vieux loups du milieu, ou... "jeunes", aussi).
Intime: parce que écrit au plus près de l'"os", au plus proche de ses divers états (d'âme) au vu du contenu "sonnant" carrément autobiographique, de la quasi totalité des (très beaux) textes posés sur ces cinq chansons de haut vol (pour trois d'entres-elles, au moins, les deux restantes se situant à peine un ton en dessous, yep).
In Time (juste à temps !) : parce que le EP sort juste quelque jours avant son traditionnel pèlerinage au New Morning de Paris, pour y fêter (deux soirées, durant) son anniversaire en compagnie de ses irréductibles Fans.

Quelle que soit la p'tite bébête d'idée nichée derrière cet Intime (à facettes) appellation, le résultat reste encore et toujours le même : il est sacrément bon. Une réussite à pointer puis célébrer, en cette époque perturbée qui voit tant et tant d'immenses "anciens" du genre, marquer le pas. Il y a en effet belle lurette que les "grands" de type Mc Cartney, Clapton, Peter Gabriel, Iggy Pop, Bowie, Stones, Dylan (des moitiés d'album seulement, depuis le sommet Time Out Of Mind), ou Bruce Springsteen (épastrouillant, voire "intouchable" sur scène, mais à la traîne en studio depuis la sortie de Magic) n'ont rien sorti de bien passionnant ou juste au "niveau", juste. Chez not' gars Elliott, rien de tout cela, nope. Au contraire. Depuis Beauregard (1998) les albums se suivent et se ressemblent - en termes de qualité uniquement - à l'image des récents Elliott Murphy (2011) et It Takes A Worried Man (2013) : deux franches réussites pétries de sens et titres forts (Poise ‘n' Grace, Take That Devil Out Of Me, Gone, Gone, Gone, Then You Start Cryin', I Am Empty, Little Bit More...).
Dès les premières notes du carrément emballant Benedict's Blues (le morceau, pas le Pape à la retraite, de même appellation !) on se surprend à siffloter puis fredonner, ou bien ronronner d'aise, c'est selon : rythmique chaloupée, riff de guitare ludique, mélodie à tomber et texte décliné au diapason - qui mériterait d'être décortiqué plus avant si l'espace ici ne manquait : "Écrire une chanson d'amour / En faire un hit : "Il m'a fait quelque chose de mal !", "Oh, ce qu'elle m'a fait !" / C'est LA même, toujours la même / Est-ce là tout ce qu'une chanson peut-être ? / Je pensais qu'une chanson pouvait vous rendre libre / Peut-être que j'avais tort...".
Autre "sommet" à gravir d'urgence, Land of Nod : livré ici en sa version démo/de travail, cause que la version policée de studio enregistrée aux côtés de son fidèle trio des Normandy All Stars (Olivier Durand/guitares, Laurent Pardo/basse, Alan Fatras/batterie : présents tout du long sur ce EP, comme à l'accoutumée) n'avait visiblement pas fait la maille ou bien tout bonnement souffert de la fraîcheur de celle-ci. Un vibrant parallèle d'avec le lointain Royaume de Nod (région où fut exilé Caïn après avoir occis son propre frère Abel, selon la Genèse...) attaché aux actuels laissés pour compte de notre société mortifère, déshumanisée et castratrice ; le tout porté par une petite merveille de mélodie simplissime et attirante, une voix et des arrangements empreints d'une réelle noirceur ; sans pour autant que le tout ne plombe à aucun moment l'auditeur aux aguets. Imparable. Si, Sweet Honky Tonk promet d'être redoutable sur scène (Dylanesque en diable, pétri de fines observations et personnages de renom : la Reine Élizabeth, Marilyn, le trio Abraham, Martin & John du regretté Marvin Gaye, ou son excellence LE BagelNew Yorkais...) le propos n'en est pas moins réaliste/pessimiste et sec (du dedans !).
The Land That Time Forgot - on espère que ce ne soit la Syrie, l'Ukraine, la... France, bientôt ? Ou juste un amour qui se meurt lentement - démontre une fois encore que l'on peut recycler ou cuisiner une vieille recette souvent "servie" au fil des ans sans qu'elle ne lasse ou n'ennuie. Un morceau, une nouvelle fois porté par une ébauche de mélodie maligne et un texte corrosif, quoique non dénué d'une réelle remise en question : "Et tu te tiens sur cette terre oubliée du temps / Où les dinosaures dinent avec Monsieur Spock... / ... Tu es assis là, au coin, au volant de ta machine à remonter le temps..." (la machine à écrire du maître ?). L'artiste (qui craint d'être) dépassé par le temps, devenu obsolète de fait, qui se demande si sa voix porte encore suffisamment, s'accroche à ses certitudes passées : "Introspection ? Introspection ? Est-ce que j'ai une gueule d'introspection ?".

Elliott cherchant visiblement à "passer" d'un album/an à deux EP/an - pour cause de budget serré, serré, et non d'inspiration lestée... - on ne peut que se lamenter une nouvelle fois vis-à-vis des us et coutumes d'un milieu plus prompt à investir actuellement dans des produits montés à la chaine ou des "prénoms" sans talent qui hurlent, crient, gigotent, rament ou trouent leur slip quand ils... pètent ! (Ça laisse rêveur, non ?).
Histoire que de boucler ce premier opus en beauté - très justement et sobrement produit par le fiston Gaspard - quoi de mieux que cette sorte de comptine douce-amère (aigre-douce ?) un rien bastringue ou baloche, qu'est Every Little Star ? "Jeune homme, je rêvais de gloire et fortune... / Je suis désormais à un âge où cela ne revêt plus de sens / Je sais que la réponse est difficile à donner / Destinée...".
Une chanson revenant ostensiblement sur le brumeux rapport de notre homme, non, de l'artiste au sens large, d'avec la réussite, la célébrité, l'accomplissement d'une vie. Une façon comme une autre de tordre le cou aux grincheux qui s'imaginent que l'on ne peut "réussir" dans ce métier, que lorsque l'on se nomme Michael (J), Louise (Madonne), Jay... Z, "langue logo" (Mick), Zimmermann "Bootlegs Series", ou Bruce Frederick... Springsteen ! Depuis les lointaines et heurtées 70's, notre New Yorkais (Parisien d'adoption) écrit, compose, se livre, délivre moult shows énergiques, publie (livres, articles et nouvelles) enregistre puis nous fait don de classiques indémodables - Diamonds By The Yard, Just A Story From America, Drive All Night, Green River, On Elvis Presley's Birthday, Rock Ballad, The Fall of Saigon, What's The Matter ?, Pneumonia Alley, Gone, Gone, Gone, Last Of The Rock Stars... - si c'est cela être un "Loser", c'est bel et bien que quelque chose de vicié, il y a, au Royaume du... Mark ! (du Yen, du Dollar, du Rouble, de la Livre ou de l'Euro).
"Tu préfèrerais être heureux / Ou bien être dans le vrai ?" (Every Little Star). La question reste posée, ô combien d'actualité. J'espère quant à moi que notre Murphy dort du sommeil du juste et que son bonheur reste avant tout celui qui semble l'habiter (le consumer) au moment de composer cette kyrielle de petites parcelles d'éternité musicale, que l'on souhaiteraient "planétaires", révérées et vantées, par le plus grand nombre, écoutées...

 Critique écrite le 07 mars 2014 par Jacques 2 Chabannes
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